Les Jeux olympiques de Montréal vus par Sylvaine Deltour, K2 dame 500 m
Sylvaine Deltour, née en 1953, découvre le canoë-kayak en cours d’EPS puis au CAPS (Centre d’Activités Physique et Sportive) de Metz. Après son premier titre minime CAPS en 1968, elle intègre les équipes de France junior puis sénior. Licenciée à Dijon à partir de 1973, elle réussit une bonne année internationale en 1975 avec ses diverses équipières de l’équipe de France dont la première finale mondiale du K4D. Associée à Anne-Marie Loriot d’Auxerre, elle participe aux JO de Montréal où l’équipage termine 10ème.
Sylvaine a été dirigeante de la FFCK pendant 32 ans ; elle est actuellement membre d’honneur de la FFCK et pratique toujours le kayak dans son club de Chambéry.
La préparation olympique et les sélections olympiques
L’année 1975 – 1976 a été très dense pour la jeune professeur d’EPS que j’étais alors !
Une première année d’enseignement à temps plein et la préparation olympique à temps plein également pour concilier travail et entraînement avec presque deux « séances » bateau et préparation physique par jour… Un choix exclusif ! Heureusement, le ministère des sports a pu me libérer pour les 3 derniers mois afin de pouvoir participer aux stages d’équipe de France en Pologne et Allemagne.
Les sélections olympiques se sont finalisées lors des régates internationales de Vichy mi-juin 1976. Pour la première fois de l’Histoire, deux bateaux féminins français avaient été retenus pour ces Jeux olympiques : K1 avec Françoise Bonetat et un K2 composé d’Anne-Marie Loriot et de Sylvaine Deltour / moi-même ?.
La semaine suivante, les régates internationales de Nottingham servaient de repêchage pour des équipages garçons. Et anecdote peu banale, prises par nos achats détaxés à l’aéroport d’Amsterdam en prévision des JO, Françoise et moi, avons loupé l’avion pour l’Angleterre et avons dû nous débrouiller toutes seules pour racheter un billet d’avion afin de retrouver, en pleine nuit, les autres membres de l’équipe de France.
Le voyage vers Montréal en Concorde !
Le voyage vers Montréal a été plus confortable et plus inédit encore. En effet, le mardi 13 juillet 1976 nous sommes une centaine de sportifs et de dirigeants à voyager de Roissy à Montréal en Concorde, l’avion supersonique franco-britannique ! Quelle chance… Le voyage a duré 3h30 au lieu des 7h30 habituelles. Nous volons à la vitesse de plus de mac 2. Quelques fédérations ont été choisies par le CNOSF : celle d’athlétisme, de judo et de canoë-kayak entre autres. Nous ferons connaissance avec les judokas Yves Delvingt, Jean-Paul Coche, Remi Berthet et le futur médaillé de bronze Patrick Vial. Il y avait aussi quelques athlètes comme Jean-Claude Nallet (coureur de 400m) sélectionné en 68 et 76 et son épouse, la gymnaste Chantal Seggiaro. Et le repas : un vrai banquet ! Notamment des vins de Bourgogne prestigieux (Puligny Montrachet, Hospice de Beaune..), nous mettant dans un bel état d’euphorie à la descente du Concorde… Ayant «récupéré» 6 exemplaires des couverts du Concorde en souvenir : 48 ans après, ils sont toujours en service chez moi…
La cérémonie d’ouverture
Nous avons mis du temps à nous préparer afin d’ajuster au mieux nos tenues bleues de grande classe…. Celles-ci avaient été conçues et confectionnées sur mesure par la haute couture de la maison Carven, alors à son apogée.
Grande émotion en entrant dans le stade de près de 80 000 spectateurs et après de longues heures d’attente et un mal de pied épouvantable dans nos chaussures en cuir toutes neuves !
Notre porte drapeau était Daniel Morelon, alors triple champion olympique de cyclisme sur piste à Mexico et Munich. Au milieu de la pelouse du stade olympique quelle surprise de voir les grands noms du sport français se montrer aussi taquins et complices. Ainsi Guy Drut, futur médaille d’or du 110 m haies s’est amusé à entrelacer les chaussures de ses collègues hommes…
L’ouverture des Jeux fut officiellement proclamée par la reine Elizabeth II. Les porteurs de la flamme, le Montréalais francophone Stéphane Préfontaine et la Torontoise anglophone Sandra Henderson, beaux symboles d’unité nationale, allumèrent la vasque.
La préparation terminale avant les JO
Dès la fin de la cérémonie d’ouverture du 17 juillet et pendant les épreuves d’aviron qui se déroulaient sur le même bassin de l’île Notre-Dame, la préparation terminale s’est effectuée du 18 au 26 juillet. Nous étions au bord du lac Morency à St Hippolyte à 70 km au nord de Montréal dans les Laurentides à l’auberge de la Chaumine, tenue par un Français.
Nos conditions d’entraînement étaient particulières puisque le lac ne faisait pas 1000 mètres de long et ne disposait pas de lignes d’eau… Plutôt difficile pour se préparer aux épreuves sur 500 mètres et 1000 mètres.
Néanmoins, nous enchaînions les deux ou trois entraînements par jour, coachés par Jean-Claude Le Bihan, le seul entraîneur pour toute l’équipe (3 bateaux filles et 6 bateaux hommes sur des distances différentes…)
Le kiné Lucien Kérouadan faisait des miracles pour nous maintenir en forme avec les premiers massages crâniens, forts agréables !
Les garçons aimaient s’entrainer au nord du lac, vers des habitations cossues…
Nous suivions les épreuves olympiques à la TV. Grande joie pour moi de voir mon collègue de l’UER EPS de Dijon, Henri Boerio remporter une brillante médaille de bronze en gymnastique à la barre fixe.
Le village de moins de 4000 habitants à l’époque accueillait également l’équipe de France d’escrime. Par manque d’infrastructures spécifiques, les escrimeurs se préparaient dans l’allée centrale de l’église du village ! Une messe dominicale nous a tous réunis le 25 juillet en présence du ministre Mazeaud.
Le bassin olympique aviron et canoë-kayak
Nous avions découvert le bassin olympique aviron et CK dans l’île Notre-Dame au centre du fleuve St Laurent en été 1975 lors des préolympiques. Nous y avions réalisé un stage franco-québecois organisé par Jean Olry DTN et Jean-Claude Le Bihan qui était à la fois entraîneur, coach, logisticien etc. Nous avions pu mieux connaître la culture nord-américaine et être reçus par les familles québécoises. Derrière le bassin olympique, créé de façon artificielle pour l’exposition universelle de 1967, on reconnaît l’ancien pavillon des États-Unis, qui est devenu un musée de l’environnement : la Biosphère.
Le village
Les athlètes disposaient de 980 appartements dans des bâtiments non mixtes et cernés de vastes terrasses. Les espaces verts tout autour étaient vastes. Après les JO, les pyramides en imposent toujours par leur architecture et hébergent des milliers d’habitants dans ces appartements de luxe.
Nos courses
Nous ne nous faisions guère d’illusions sur nos capacités à jouer les premiers rôles dans les courses. Il faut dire que nous courrions au temps d’une préparation « optimisée » des filles des pays de l’Est où le dopage régnait en maître. Notre objectif en K2 était cependant d’atteindre la finale. Ce que nous avons failli réaliser grâce à un temps encore jamais réalisé en demi-finale dans notre Makker bois de chez Struer : 1:55.75. Ce temps nous aurait permis d’entrer en finale dans une autre demie et nous aurait propulsé à la 7ème place de la finale… À la fin de notre course, nous étions donc satisfaites et avons pu échanger après 4 mois de communication difficile entre nous. La finale, vue des tribunes, confirme la domination des nations de l’époque.
Voici les Résultats des courses de K2 dames.
Nous avons bien sûr suivi les courses de nos copains de l’équipe et tremblé pour le K2 Lebas-Hanquier qui réalisait une superbe finale à la 4ème place. Alain allait exprimer toutes ses qualités lors des Jeux d’après, à Moscou, avec sa superbe médaille d’argent.
Cérémonie de clôture
Le dimanche 1er août a lieu la cérémonie de clôture des Jeux olympiques.
Une véritable fête conçue pour les athlètes. Ceux-ci sont autorisés, contrairement à la cérémonie d’ouverture, à se munir de leur appareil photo !
Le spectacle haut en couleur, incorpore plus de 500 danseurs et danseuses qui forment ensemble les cinq anneaux olympiques. En hommage aux Premières Nations, plusieurs centaines d’Autochtones montent des wigwams au centre de ces anneaux dansants.
Une indignation à l’issue de cette cérémonie : en rentrant du parc olympique j’ai croisé une célèbre athlète olympique française en train de vendre sa tenue olympique Carven aux enchères à l’entrée du village… Éthique ?
L’après Jeux :
En fait… Depuis le début de mon apprentissage en CK, j’avais un grand rêve : aller naviguer sur une rivière sauvage du Québec !
Donc dès l’annonce de ma sélection olympique, j’ai pris contact avec Fernand Lamy d’Huningue pour m’inscrire à une expédition avec le centre de CEPAL à Jonquière…
À la fin des JO, suite au voyage vers les chutes du Niagara organisé par le CNOSF, 3 camarades de l’équipe course en ligne, Bruno, Antoine et Jean-Paul ont loué avec moi une grosse voiture américaine.
Après la visite de Québec, ils m’ont conduite jusqu’à Jonquière ! Deux Français : Luc Amarnier et son épouse Marie-France avaient monté et géraient cette superbe structure au bord de la rivière des Sables. Pendant les quelques jours de la préparation de l’expédition, je fais connaissance d’une grande partie de l’équipe de France de descente et de slalom… En effet, il n’y avait, à cette époque, aucune relation entre les disciplines de l’eau vive et de la course en ligne au sein même de la FFCK.
Un grand nombre d’entre eux, resteront amis à vie comme Robert Platt, Jean Lamy et Jean-Michel Prono… Jean-Michel Prono, en bon pédagogue, essaiera de me perfectionner en eau vive et de me redonner les bases de la technique dont la fameuse « propulsion circulaire » ! Écart de l’avant, appel de l’arrière !
Je me souviens également de la joie de Jean et Robert qui, dans ces journées, étaient allés négocier lors du congrès de la FIC à Montréal, l’attribution des championnats du Monde slalom et descente de 1979 à Jonquière…
L’expédition sur la rivière Obatogamau, affluent de la rivière Chibougamau a duré 3 semaines complètes avec l’équipier Tilou de Huningue…
Loin de tout, la vie en groupe, la pêche, les superbes paysages d’épinettes, les longues heures de pagayage, les portages, la faim (surtout après le régime hypercalorique du village olympique), les aurores boréales furent une belle initiation à ces fabuleuses expéditions organisées par Fernand puis par Jean Lamy !
Trois autres expéditions me conforteront dans ce choix exceptionnel de la pleine nature…
Sylvaine Deltour mars 2024
Les témoignages n’engagent que leurs auteurs.