Le récit de la course du F1 10 000 m des JO 1936 par le vainqueur Gregor Hradetzky
7 août 1936, 17H30, lac de Berlin Grunau.
C’est un jour très chaud du mois d’août, sous un soleil de plomb. L’eau du lac de Grünau est lisse, une surface d’huile. Nul courant d’air quand le starter nous appelle. Je suis assis, assommé dans mon bateau, attendant le coup de feu qui doit me libérer pour la course de ma vie. Un condamné à mort ne doit pas être assailli de sentiments différents des miens juste avant le signal du départ.
Une peur indescriptible bloque ma nuque, je me sens totalement affaibli comme après une longue maladie. Je regrette de m’être engagé dans le sport. Les mots de responsabilité que le vice-chancelier d’Autrice Ernst Rüdiger Starhemberg m’a inculqué me pèsent fortement.
Vingt et un bateaux s’alignent au départ, chaque nation n’a droit qu’à un seul représentant. Je suis l’espoir de l’Autriche en kayak F1. Je connais la concurrence européenne , mais le niveau de performance des sportifs des autres continents m’est inconnu.
Les K1 rigides, les K2 pliants et rigides sont déjà en course. Nous attendons le signal du départ dans une tension insupportable. Le coup de départ déchire l’air, les compétiteurs foncent, le combat a débuté. La course de ma vie démarre.
Je ne m’élance pas comme d’habitude. Je ne prends pas la tête de course, je peux à peine m’accrocher au groupe de tête qui se forme. L’allemand Hörmann et le français Eberhardt luttent âprement à plusieurs longueurs devant moi.
Que m’arrive-il, alors que j’ai encore bondi au départ de la course à Passau , comme souvent dans mes courses de longue distance ? Le suédois Dozzi pagaye à mes côtés et la majorité des participants naviguent en groupe. On passe les mille mètres dans cet ordre puis le second kilomètre. J’en suis presque à me résigner.
Hörmann et Eberhardt se détachent trois à quatre longueurs devant moi. A partir du troisième kilomètre , la situation évolue, Je lâche le suédois Dozzi et je peux enfin me rapprocher d’Hörmann et d’Eberhardt . D’un coup la fatigue et la paralysie qui me bloquaient depuis le départ disparaissent, le terrible stress du départ est parti.