Les Jeux olympiques 1976 de Montréal vus par Antoine Cipriani K2H 500 m

Antoine Cipriani est né en 1954. Il débute le kayak au club de Nevers à 13 ans. Après des podiums en minime CAPS, il pratique la descente de rivière et la course en ligne. Sélectionné en équipe de France junior dans les deux disciplines, il se consacre à la course en ligne après son année au Bataillon de Joinville en 1973-1974. Sa 4ème place aux mondiaux de Mexico en 1974 en K2 100m avec Alain Lebas le lance dans l’aventure olympique. En 1976 il est demi-finaliste en K2H 500m avec son équipier parisien Bruno Bicocchi. Pour raison professionnelle, il rejoint le Var dès la fin de 1976 et poursuit depuis, son engouement pour les activités de pleine nature.

 

 

 

 

« La belle aventure » d’un jeune de Nevers :

Une première période d’insouciance… Ceci par la magie du bateau, en eau plate ou en eau vive et avec les copains-copines du club. Première licence au CC Nevers en 1967 à 13 ans. Plus tard, André Butin, un ancien du club, me donnera la médaille qu’il venait de gagner. Ce fut un déclic émotionnel qui me tira les larmes. En 1968 en minime, j’ai commencé à gravir les échelons derrière les «Lebas», «Thomas» et des gars d’autres clubs. En 1969, je suis vice-champion de France CAPS puis champion en 1970. Grâce à l’entraînement course en ligne, j’ai rapidement obtenu de bons résultats en descente. Pour moi, les deux activités étaient complémentaires. Je me référais à deux exemples : l’un était belge, Jean-Pierre Burny, et l’autre français, Jean Boudehen, champion du monde en descente et vice-champion olympique en course en ligne en 1964.

1971 fut une année déterminante pour moi avec plusieurs titres de champion de France en K1, K2 et K4 et une sélection aux championnats d’Europe junior en Roumanie où, en K2 avec Alain Lebas, nous finissons 8e en finale.

1972 et 1973 seront aussi des années fructueuses en descente. Je gagnerai la plupart de mes courses, comme en course en ligne. Au global, j’aurai eu de nombreux équipiers en club parmi les tous-meilleurs français. Ils m’ont beaucoup apporté.

 

Progression en vue des JO de 1976 à Montréal

C’est Jean Boudehen, alors entraîneur national de descente, qui, au retour d’une compétition de descente de rivière à Düsseldorf (RFA), en mai 1972, m’avait suggéré d’envisager une sélection pour les JO de 1976 à Montréal.

J’ai pu intégrer la préparation à l’INSEP en vue de JO 1976 après mon incorporation au Bataillon de Joinville en octobre 1973 et une 4e place aux championnats de monde Seniors de Mexico en 1974, avec Alain Lebas en K2 sur 1000 mètres.

Alain Lebas et Antoine Cipriani en K2 en 1974 — Photo A. Durand

 

À la recherche d’une autre méthode d’entraînement

Début 1976, après un stage de ski de fond à Prémanon, avec mon équipier Bruno Bicocchi, nous avons décidé de remplacer le traditionnel stage de Pâques à Macon par un stage avec l’équipe d’Italie, qui comptait dans ses rangs Oreste Perri, champion du monde en K1 et Merli-Sbruzzi, un K2 régulièrement bien placé. Avec l’accord de Jean-Claude Le Bihan (entraîneur national) nous sommes allés par nos propres moyens à Cremona, au sud de Milan pour un stage de 12 jours.

L’entraînement était essentiellement basé sur des séances en bateau, qui se déroulaient sur un large canal latéral au «Lungo Pô». L’entraîneur nous suivait en voiture le long du canal et nous donnait les départs avec un mégaphone installé sur le toit de sa voiture.

Là, nous avons été soumis à des séances très intenses : après un échauffement de 20 minutes, 3 fois 20 minutes, ou 10 fois 1 000 mètres, ou 20 fois 500 mètres, ou 30 fois 30 mètres, sans compter les séances de vitesse pure sur 20 à 30 secondes.

Nous étions logés dans un couvent catholique où nous avons pu apprécier le confort, la nourriture toujours variée et d’excellente qualité, sans oublier le «Bambino de Vino Rosso» offert chaque soir par le kiné de l’équipe qui prenait aussi soin de nos bras, épaules et dorsaux, dans une ambiance très «italienne».

Nous avons assisté à plusieurs séances de «psycho training» menées par un psychologue, sans vraiment en profiter car nous ne maitrisions pas assez bien l’Italien. Ces séances de relaxation étaient basées sur les principes du training autogène de Schultz.

 

Sélections

Dès la fin de l’année 1975, la fédération avait décidé de ne pas envoyer de K4 Homme aux JO et d’engager un K2 sur 1 000 m (Lebas-Hanquier) ainsi qu’un K2 sur 500 mètres. Nous étions alors 3 équipages à nous départager sur 500 mètres. La sélection devait se faire sur 3 courses (Pologne, RDA et en France à Vichy) au printemps 1976.

Après l’internationale de Vichy, 2 équipages restaient en lice pour participer aux JO et nous avons dû nous départager lors d’une ultime course à Nottingham (GB). À l’issue de cette régate, mon équipier Bruno Bicocchi et moi seront sélectionnés pour les JO. OUF !!

J’ai ressenti pas mal d’amertume lors de cette période, due au fait que je me battais contre mes équipiers du club de Nevers (K2 et K4).

Mais le sport de haut niveau est ainsi fait, il nécessite beaucoup de sacrifices et d’efforts, et une sélection olympique procure, malgré tout, une très grande satisfaction.

Le contrecoup de cette période de tension a été un relâchement certain dans la préparation finale.

 

Voyage et cérémonie d’ouverture

Pour nous rendre à Montréal, étant « espoirs de médailles », nous avons eu la chance de voyager dans un avion exceptionnel, le Concorde (fleuron de l’aviation française).

Hormis les performances techniques de l’avion, j’ai ressenti une émotion très vive lorsque le Concorde a atteint mach 2 pour un court moment. La collation était un repas gastronomique très raffiné, le champagne et les vins, de très grande qualité.

Autre très grande émotion, la cérémonie d’ouverture des JO. En effet, à l’approche du tunnel d’entrée dans le stade olympique, tous habillés en tenue de défilé, l’équipe de France s’est mise à marcher au pas devant près de 60 000 spectateurs qui nous applaudissaient.

Cette journée restera pour moi exceptionnelle d’émotion, parmi les équipes de 92 nations et plus de 6 000 athlètes.

équipe de Bourgogne avant l’ouverture — Photo collection A. Cipriani

 

Quelques jours avant l’ouverture des JO

En attendant la cérémonie d’ouverture et après les quelques séances de découverte du bassin, nous sortions chaque soir du village olympique pour déambuler autour du stade olympique et de la piscine.

À ces occasions nous avons constaté que les Québécois étaient «en amour pour leurs cousins français» et nous avons pu nouer quelques contacts intéressants avec la jeunesse québécoise.

Personnellement, je me souviens d’une jolie jeune fille, avec qui je suis resté en contact assez longtemps, jusqu’à l’accueillir en Corse en 1977 et être accueilli chez elle en 1979 pour entreprendre un voyage à travers le Canada, les USA et même l’Alaska.

 

Avant les épreuves des Jeux Olympiques

Après l’ouverture, le bassin olympique étant utilisé pour les courses d’aviron, nous sommes allés à Saint Hippolyte, au nord de Montréal, dans une auberge (La Chaumine) au bord d’un des nombreux lacs de Laurentides : chalet en bois, en pleine forêt.

Préparation terminale à St Hippolyte La Chaumine — Photo Cipriani

La préparation finale s’est déroulée sur ce petit lac, entrecoupée de réceptions diverses auprès des gens du village : messe dans l’église, dégustation de « tire » (sirop d’érable chaud trempé dans de la vraie neige congelée par les habitants), démonstration de ski nautique….

Pour ma part, et après la pression due aux courses de sélection, je garde le souvenir d’une préparation terminale un peu légère : baisse de concentration et baisse des intensités lors des entrainements… Les sollicitations étaient nombreuses, donc le niveau de l’entraînement n’était pas à la hauteur de l’enjeu.

 

Le village olympique, les courses

Le village olympique était composé de deux grands bâtiments blancs, conçus par un Français (qui a construit les immeubles de Marina baie des anges, à Cagnes sur Mer). Nous logions dans un appartement avec plusieurs chambres, dont une, partagée avec mon équipier Bruno Bicocchi. Les gymnastes et boxeurs français étaient nos voisins d’étage.

La restauration se faisait dans un restaurant-self français où la variété et la qualité de la nourriture étaient optimales. Par ailleurs, on trouvait plusieurs restaurants où on pouvait goûter à toutes sortes de cuisines étrangères. Mais il nous fallait être raisonnable…

Pour ma part, la compétition a débuté le mercredi matin par les séries qualificatives  puis l’après-midi par les repêchages pour accéder à la demi-finale. Le vendredi matin avait lieu la demi-finale où nous terminons 5ème (le 13ème temps).

Déception de ne pas se qualifier pour la finale, mais au vu des résultats précédents, et pour être tout à fait honnête, nous étions à notre place

Le K2 Bicocchi-Cipriani en demi finale. — Coll A. Cipriani

 

L’après-JO, la décompression

À la fin des JO, et après la fantastique cérémonie de clôture, nous sommes allés voir les chutes du Niagara, et la ville de Toronto, avec une grande partie de l’équipe de France. De retour à Montréal, direction la ville de Québec et le Lac Saint Jean où nous avons déposé Sylvaine Deltour qui participait à une expédition avec d’autres kayakistes d’eau vive français.

J’ai eu le plaisir de faire connaissance avec une famille québécoise, qui m’a très gentiment hébergé chez elle et facilité la location d’une voiture, le survol de Montréal en avion de tourisme et de nuit, la connaissance de personnalités québécoises (journaliste, sculpteur), et de coutumes et traditions locales.

Cette période de ma vie de sportif a été et reste encore actuellement pour moi un très grand moment, l’aboutissement de ma « carrière » de kayakiste, la participation aux JO étant un rêve dès mes débuts dans l’activité à l’âge de 12 ans.

J’ai une pensée reconnaissante envers tous mes moniteurs et entraîneurs du club de Nevers, mes équipiers et adversaires qui m’ont aidés à me surpasser pour accéder aux JO, sans oublier Jean-Claude Le Bihan, notre entraîneur national.

 

Mon après-JO, la reconversion

Après les quelques jours de tourisme suivant les JO et de retour en France, j’ai dû rechercher un emploi. Titulaire d’un Brevet d’État de canoë-kayak, j’espérais pouvoir travailler  dans ce secteur.

Après un mois de moniteur saisonnier Jeunesse et sport dans mon club, la cueillette des pommes dans un domaine agricole du Cher, et en attendant un éventuel emploi dans le parc naturel du Morvan, j’étais à la recherche active d’un travail rémunéré. Mon entretien avec le Maire de Nevers ne m’a rien apporté de concret, si ce n’est quelques recommandations.

Sur les conseils de Jean-Pierre Cordebois, à tout hasard, j’avais passé le concours d’entrée à l’École Normale d’Instituteurs, où j’ai terminé 43ème alors que seuls les 40 premiers étaient pris en stage. Sur liste complémentaire et ayant appris que les académies de Créteil, Versailles et du Var (Draguignan) étaient déficitaires, j’ai postulé pour le Var (sans le soutien de la fédération qui voulait me garder à Créteil, voire à Versailles).

Affecté début novembre 1976 à Draguignan, je suis entré en formation rémunérée à l’École Normale pour 2 ans. Titularisé en Janvier 1979, j’ai opté pour une école dans laquelle je suis resté 23 ans dont 5 en tant que directeur, pour finir ma «carrière» à Trans en Provence, dans une grosse école, directeur totalement déchargé de classe.

Mais le virus était là, et en 1986, j’ai pris contact avec le club de CK de Draguignan-Les Arcs, où j’ai entraîné 4 juniors, et j’ai finalement repris la compétition en 1988 et 1989 pour accéder aux championnats de France de descente. Que du plaisir !!! et plus de pression.

Depuis les JO, j’ai pratiqué la plongée sous-marine, la planche à voile, la moto de trial en compétition, le ski de fond et alpin, le cyclisme, le VTT, la course à pied (marathon et semi-marathon), le tir, la randonnée «alpine», et maintenant à bientôt 70 ans, je m’entretiens avec 3 séances par semaine : footing, randonnée et vélo.

 

Antoine Cipriani janvier 2024

Témoignage recueilli par Jean Paul Cézard et Sylvaine Deltour.

 

Les témoignages n’engagent que leurs auteurs.

 

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