Les Jeux olympiques 1976 de Montréal vus par Jean-Paul Cézard C2 H 1000m
Né à Créteil (Val de Marne) en 1953, Jean-Paul Cézard est le dernier d’une grande fratrie. Il a profité de l’expérience de ses 2 frères ainés, internationaux en course en ligne (années 50 et 60), pour progresser au sein de 2 clubs prestigieux saint-mauriens d’abord le CK Paris puis la Société Nautique du Tour de Marne. À l’époque, ces clubs présentaient des palmarès inégalés. De nombreux champions s’y étaient illustrés après-guerre.
LES JO DE MONTRÉAL
C’était ma première participation. Dès les épreuves préolympiques en 1975, je me souviens d’une impression de gigantisme. C’était un voyage lointain dans le pays du canoë. Le Québec, « la belle province », si près des États-Unis d’Amérique pays également précurseur pour le canoë. Le Québec, son histoire et sa langue partagées avec la France. Tout un symbole.
Je me souviens du bassin olympique et les installations restantes de l’exposition universelle de 1967 notamment le grand dôme transparent visible de loin au milieu du fleuve sur l’île Notre-Dame. Ile artificielle édifiée pour l’exposition où serpente aujourd’hui le circuit automobile Gilles Villeneuve. En 1975, le bassin de 2200 x 110m était tout nouveau, il convenait d’y prendre nos marques et repères lors des régates préolympiques.
Malgré l’impopularité de ces Jeux jugés trop coûteux par les Québécois, nous avons été très bien accueillis chez l’habitant. En ce qui me concerne, ce fut chez les Paterson du canoë club historique de Cartierville situé sur un bras du Saint-Laurent. Magnifique accueil des adhérents, matériel d’entraînement à disposition. L’un d’entre eux, Jean Vaillancourt, m’a dépanné en me prêtant sa pagaie. Ambiance festive. De quoi créer des relations durables mais aussi de quoi se disperser un peu par rapport à l’objectif.
Je me souviens d’une rencontre avec Robert Charlebois et Diane Dufresne de célèbres chanteurs locaux qui faisaient comme nous leurs début internationaux en s’exportant notamment dans l’Hexagone. Nous avons aussi pu survoler en avionnette la ville de nuit grâce à un chirurgien montréalais chez qui Antoine Cipriani avait élu domicile. Nous avons aussi pu visiter les chutes du Niagara en Ontario au sud et la région du Lac Saint-Jean situé plus au nord…
Aujourd’hui encore j’y ai gardé quelques contacts. J’y suis même retourné en 2017 à l’occasion d’anniversaires officiels : les 150 ans du Canada, les 4 siècles des villes de Montréal et Québec… J’y ai revu les vestiges du village et du bassin olympiques, du stade cette fois avec sa flèche (inachevée en 1976 faute de moyens / voir la photo 8 ci-après). J’y ai revu Robert Charlebois en concert en plein air, quel bonheur !
Mes courses de C2H 1000 avec Alain Acart :
Notre préparation terminale avait été un peu compliquée à cause du décès de mon père peu avant l’échéance olympique.
Alors que les épreuves d’aviron monopolisaient le bassin olympique, nous avons effectué une préparation terminale au vert à Saint Hippolyte dans les Laurentides à 100km de Montréal où nous fûmes très (trop) bien accueillis. Conditions confortables assez peu adaptées au combat à venir.
Avec Alain Acart mon équipier (décédé le 02/01/2023), lors de la série éliminatoire la plus relevée (URS, ROU, HUN les 3 premiers de la finale) nous avions de bonnes sensations. Au contact à mi-course, nous avons tenté de nous qualifier directement en demi-finale (les 3 premiers) sans succès (4ème). Notre chrono nous aurait permis de gagner l’autre série éliminatoire. Nous passâmes donc par les repêchages pour nous qualifier tout en contrôle. Cependant, nous voulions gagner dans la perspective de rejoindre une demi-finale plus «abordable». Malheureusement, les Allemands, derrière nous pendant toute la course, ont effectué un finish ultra-rapide qui nous a surpris nous reléguant à la seconde place, erreur de jeunesse.
Les 3 demi-finales se dérouleront par une météo défavorable pour nous. Du vent de droite qui ne nous favorisait pas techniquement (tous les chronos augmentés d’au moins 10 secondes). Avec le 7ème temps des demi-finales, cela ne suffira pas car la nôtre s’est avérée la plus disputée (3 équipages de l’Est — URS, RDA et BUL — nous précèdent). Sur 1000m, nous étions moins expérimentés que nos adversaires du jour. Dans les deux autres demi-finales, nous passions. À ce moment, nous ne savions pas que nous n’aurions pas de seconde chance aux JO quatre ans plus tard. En effet, le conflit russo-afghan de 1980 (JO de Moscou) entrainera un boycott notamment celui des militaires français et donc de mon équipier Alain, sous-officier au Bataillon de Joinville.
Bref, à Montréal, nous n’avions pas le niveau d’un podium. Je crois qu’en course, on a joué de malchance et que nous méritions une finale comme lors des préolympiques de 1975 (5ème) mais le sort en a voulu autrement. Quelle leçon pour ma première ! Je retiendrai qu’en C2, au plan technique, il convenait de cumuler beaucoup plus de travail technique, de coordination et de confrontations en équipage pour performer. Nous avons aussi manqué de puissance musculaire par rapport à la concurrence. Il nous manquait aussi un véritable entraîneur, un conseiller, connaissant bien ces situations particulières de course. Je n’aborderai pas la question du dopage (généralisé paraît-il dans certains pays) qui nous aurait aussi pénalisé… Je ne cherche pas d’excuses, on a manqué d’expérience.
Je tiens à préciser que le Boycott de 22 pays africains pour cause d’apartheid en Afrique du Sud n’a pas eu d’influence sur la compétition de canoë-kayak (27 nations présentes, les meilleures). Je garde le souvenir du canadien John Wood second de la finale du C1H 500m acclamé par son public au pays du canoë. Et, l’échec du roumain Yvan Patzaichin, finaliste en C1 500 (7e) et 1000m (5e), alors qu’il était déjà multi médaillé olympique (1968 et 1972). Il le sera encore aux JO de 1980 et 84.
Préparation et progression :
Suite à notre médaille en C2 10 000m aux Mondiaux de Mexico en 1974 lors de notre première année ensemble, année passée au Bataillon de Joinville (j’avais 20 ans), Alain et moi avions orienté résolument notre préparation sur 1000 m en vue de ces JO. Relevons que de 7 épreuves olympiques à Munich en 1972 on était passé à 11 à Montréal avec l’ajout de 4 épreuves de 500 m pour les hommes en K1, K2, C1 et C2. Cette évolution du programme a ouvert des opportunités pour l’équipe de France de course en ligne qui est passée de 6 en 1972 à 13 sélectionnés. Ce fut une chance pour nous.
Notre préparation olympique a réellement commencé en 1975 avec les championnats du monde (CM) de Belgrade puis les épreuves préolympiques à Montréal. Pour la petite histoire, aux CM de 1975 à Belgrade, le programme comportait 18 épreuves notamment des épreuves de fond qui nous réussissaient assez bien en général. Nous avions terminé 5e en C2 proches du podium mais seulement 8e sur 1000 m suite à un orage de grêle mémorable qui nous a rincé et refroidis — pieds dans l’eau et bateau sur la tête pour s’en protéger — juste avant le départ. Pas de quoi se mettre en confiance.
Autres souvenirs :
Le voyage aller. En 1976, le vol de 3h20 à mach 2 au-dessus de l’océan s’est déroulé en Concorde en mode VIP. Dans cette période, tout prenait une dimension magique pour le fils d’ouvrier «petit dernier» d’une famille nombreuse que j’étais. Tout était beau et grand ; c’était fabuleux…
La cérémonie d’ouverture. Nous voulions tous y participer. Elle fut présidée par Elisabeth II Reine du Royaume Uni également souveraine du Canada. Dédiée à l’histoire amérindienne et contemporaine du pays organisateur, elle fut grandiose. Ce fut notre premier contact avec toutes les délégations.
Le village olympique. Composé principalement de 2 grands immeubles pyramidaux ultramodernes situés avenue Sherbrooke à quelques encablures du stade olympique était impressionnant. Le parc attenant faisait office de campus ouvert où l’on pouvait côtoyer les athlètes de tous les pays.
Grace aux billets réservés pour notre délégation, j’ai pu assister en spectateur attentif à un match de football et de waterpolo. De quoi s’immerger dans d’autres univers et ramener de beaux souvenirs olympiques.
Je me souviens aussi de succès français : Guy Drut vainqueur sur 110m haies et de Henri Boerio gymnaste médaillé à la barre fixe.
Quelques images indélébiles me reviennent aussi. Elles ne concernent pas les athlètes les plus médiatisés du moment mais c’est le contraste qu’elles illustrent qui est plaisant : la « petite roumaine » Nadia Comaneci (1,62m quand même) qui, à moins de 15 ans, domine l’adversité et s’octroie les premières notes de 10/10 en gymnastique, et l’impressionnante Oljana Semjonova qui, du haut de ses 2,13m, survole le tournoi et s’octroie avec l’équipe le premier titre olympique de basketball féminin pour l’URSS.
Fin des Jeux, on visite… Cap au nord, en route pour le Lac Saint-Jean. Évasion et dépaysement avant de rentrer au bercail pour reprendre mes routines sur Paris et retrouver ma famille.
Jean-Paul Cézard Janvier 2024
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