Les Jeux olympiques de Sydney 2000 vus par Éric Le Leuch, 4e en canoë monoplace (C1) sur 1 000 m et 15e en C1 500 m.

Éric Le Leuch à la maison de la Tribu Sydney. — Photo S. Deltour

Éric Le Leuch est né en 1971 à Dinan (Bretagne). Son père, alors responsable du centre CAPS et du club local, lui fait rapidement découvrir le kayak puis le canoë. Après un passage en section sport-étude de Caen, il intègre le pôle France de Dijon. Entré en équipe de France en 1990, il participe à neuf championnats du monde entre 1991 et 2002 et à deux éditions des Jeux olympiques : Atlanta et Sydney où il réalise une très belle performance en C1 1 000m.

Il est aujourd’hui, en tant que cadre technique d’État, le responsable du paracanoë français.

 

 

 

 

Le contexte de la préparation des JO de Sydney

Après ma première participation aux JO d’Atlanta où l’aventure s’est arrêtée en C1 500 mètres en 1/2 finale à quelques dixièmes de la finale, le contexte a été totalement différent dans l’olympiade suivante vers les jeux de Sydney.

Au plan professionnel, titulaire du professorat de sport, le DTN de l’époque, Hervé Madoré m’a proposé un poste de Conseiller Technique National de la FFCK à mi-temps, chargé de la formation des entraîneurs de club. J’avais donc les conditions idéales pour m’entraîner.

Au niveau de la course en ligne, l’arrivée en janvier 1997 de Kersten Newman, entraîneur allemand, a apporté une approche nouvelle de la préparation. J’ai vite opté pour ce changement de programme car j’avais observé les résultats probants de cette démarche «allemande». Très centrée sur la préparation physique et la musculation cette méthode avait très bien réussi sur l’équipe française d’aviron, elle aussi entraînée par un allemand.…

De plus, installé avec ma famille à Valence, je côtoyais sur l’eau et partageais la salle de musculation avec les athlètes de l’aviron dont Laurent Porchier qui a été champion olympique en 2000.

 

La sélection pour les JO de Sydney

La logique d’alors était d’être très forts en monoplace et de composer les équipages avec les meilleurs.
Pendant 3 ans, j’ai fait équipage en C2 avec Benoit Bernard de Nevers. Nous avons fait de bons résultats en 97 et 98 mais nous nous sommes loupés lors des championnats du monde 1999 à Milan et n’obtenons pas le quota pour les JO. Avec mon entraîneur de l’époque, Frédéric Loyer, j’ai alors bien analysé nos erreurs dans le choix des pagaies (trop grosses) et le choix du bateau (trop instable directionellement). Seul Pascal Sylvoz, 7e en C1 500 mètres, a obtenu un quota.

La saison 2000 a donc été centrée sur la sélection du C1 qui allait représenter la France.

Les règles de sélection étaient claires, écrites et connues de tous : il fallait déjà être dans les deux premiers Français aux piges françaises pour performer ensuite en courses internationales et être sélectionné.

Nous avons préparé ces étapes avec un stage de 6 semaines en Australie en janvier/février 2000 à Penrith sous la responsabilité de Frédéric Loyer. Nous étions 4 canoës dont Pascal Sylvoz, Sylvain Hoyer et José Lenoir. Le travail en confrontation avec une saine émulation était important mais hélas, sans la présence de kayak filles avec lesquelles il est facile de s’entraîner. (pas de quota olympique de décroché chez les féminines à Sydney).

En juin 2000, j’obtiens ma sélection olympique lors des dernières courses internationales.

Carte FFCK Éric Le Leuch Génération Sydney

 

La préparation en Australie avant les Jeux

Contrairement à Atlanta, nous sommes arrivés 3 semaines avant nos courses en Australie. Nous avons retrouvé les quartiers connus et familiers afin d’être opérationnels sans être préoccupés par du tourisme local ! Nous étions hébergés dans une maison louée par la fédération pour les athlètes de slalom puis de course en ligne.

Au sein de l’équipe de France course en ligne, j’étais le seul canoë avec 6 kayakistes, entouré par 3 entraîneurs et de Kersten Neumann.

J’avais confiance en l’encadrement ; cette confiance s’est établie progressivement par le travail, les entraînements et mes résultats sportifs.

Étant en Australie avant le début des Jeux, nous avons participé à la cérémonie d’ouverture. Comme beaucoup d’athlètes, je préfère la cérémonie de clôture moins guindée où ne viennent que les sportifs les plus motivés pour se rencontrer dans un esprit festif et détendu.

Le soir de l’ouverture, j’étais dans un état d’esprit différent de 96 où on n’était focalisé que sur notre course. À Sydney, j’étais plus ouvert et avide de voir les évènements autour des Jeux car je me sentais prêt et bien préparé pour mon épreuve sportive. J’avais moins de pression car j’étais plus sûr de moi : la préparation à l’allemande avait fait son effet, le matériel était adapté, tout était en place pour que la performance sportive fonctionne…

Équipe de France course en ligne avant la cérémonie d’ouverture Sydney. Pascal Boucherit (entraîneur), Éric Le Leuch, Maxime Boccon, Stéphane Gourichon, Frédéric Gauthier, Babak Amir-Tahmasseb, Philippe Aubertin et Pierre Lubac. — Photo Coll Le Leuch

Pendant les courses, nous étions logés au village olympique et avions à faire les 80 km de route avant d’atteindre le bassin de Penrith. Mais je ne l’ai pas vécu comme une contrainte… Cela faisait partie de l’environnement… un temps de discussion, d’échanges et de décontraction avant les courses…

 

Le souvenir de mes courses

Dans les souvenirs forts, je retiens la demi-finale du 1 000 m qui fut une grosse bagarre pour sortir le Hongrois. Je me souviens bien sûr de cette finale du 1 000 m, ligne d’eau 9, à côté du jeune favori Russe Opalev qui s’emballe dans la 1re moitié de course et que je double sur la fin…

Alors qu’il n’y avait pas de vent à l’échauffement une heure avant la course, je perçois une légère risée venant de droite à l’entrée du bassin de course. Bordé droite, dans la ligne d’eau 9 protégée par les petites tribunes des athlètes, je suis renforcé dans le fait de croire en moi-même et dans ma capacité à réaliser ma course.

Je réalise LA course préparée et répétée : un bon départ et une course régulière autour de la minute à chaque 250 mètres. Le Russe, parti très vite explose et je lui passe devant… Je n’avais pas la vision sur l’ensemble de la course ; je voyais juste l’Allemand Dittmer futur champion olympique avec son bateau noir au centre du bassin…

Eric Le Leuch finale 1 000 m — Photo FFCK Igor Meijer

Je finis 4e… Le 5e est le Danois (devenu Norvégien) qui, 4 ans avant, m’avait sorti de la finale olympique… Une belle revanche des Jeux de 1996. Je sais alors que j’ai été bon et sans regret…

Je n’ai pas perçu cette 4e place comme un échec ; je n’ai pas eu de déception au vue de ma course et de mon chrono (3’ 57,2) un des meilleurs de ma carrière…

Ma satisfaction est venue de la façon d’arriver à ce résultat… et de la performance réalisée en finale à moins d’une seconde derrière le Canadien champion du monde.

Eric Le Leuch à l’arrivée du C1 1 000 m — Photo FFCK Igor Meijer

 

L’ambiance du club France pendant les JO de Sydney

L’ambiance générale à la FFCK était bonne et positive avec les médailles en slalom obtenues la semaine précédente. Nous avons eu la chance de suivre les courses de slalom et le 1er titre de Tony, la finale du C2, les médailles des filles.

La course en ligne avait du coup moins de pression et la motivation pour faire aussi bien !

Le club des supporters qui, en raison du déplacement jusqu’en Australie était restreint, apportait une touche sympathique «à la Francaise» fort appréciée.

Les JO se déroulant en septembre, ma femme professeur des écoles avait repris ses cours en France. Mais le club de supporter était intéressant : « c’était un petit bout de France présent »

Au retour de Sydney, je n’étais pas médaillé mais content !

 

L’évolution de carrière après les JO de Sydney

Ayant obtenu une mutation professionnelle à la Direction Départementale Jeunesse et Sport de Valence,  j’ai continué ma carrière après un break pendant l’hiver 2001.

Je suis reparti en C2 avec Laurent Barbey pour tenter les JO d’Athènes ; mais nous étions 2e C2 français… pas assez forts au niveau français et au niveau international.

Avec le recul, et avec mes expériences d’entraîneur et maintenant que je suis tourné vers le paracanoë pour les JO de Paris 2024,  je me rends compte que le plus important est l’individualisation de l’entraînement des athlètes en fonction de leur âge, de leur disponibilité, de leurs qualités et pour moi actuellement, de la nature et du degré de leur handicap bien sûr.

Pour les JO de 2000 nous avions copié une méthode d’entraînement avec 10 ou 15 ans de retard et surtout conçue et adaptée à une population de sportifs allemands, plus grands, plus forts et détectés jeunes.

Nous suivions un plan d’entraînement commun avec des athlètes qui n’avaient rien de commun. Alors cela a fonctionné pour certains athlètes, comme pour moi, mais le programme n’était pas suffisamment adapté pour chaque individu.

 

Mes deux expériences olympiques de 1996 et de 2000 sont actuellement importantes dans la mission actuelle de préparation des athlètes et des entraîneurs en paracanoë qui m’est confiée. Au-delà de la préparation physique, technique, tactique et mentale de l’événement, il faut également garder de l’envie et d’être prêt à profiter de ces moments uniques.

 

Éric Le Leuch Février 2024

Témoignage recueilli par Sylvaine Deltour.

 

Les témoignages n’engagent que leurs auteurs.

 

Retour aux témoignages