Les Jeux paralympiques 2016 de Rio vus par Agnès Legroux-Lacheux
Agnès naît le 11 octobre 1974 à Orléans et débute le kayak en milieu scolaire à 12 ans. Puis licenciée au CKC Orléans, elle pratique en mode loisirs avec quelques compétitions en eau vive en K1 et en C2, en individuel et en équipe. En 1999, après l’accident de la route qui la rend paraplégique, Agnès choisit le para athlétisme et la course en fauteuil où elle excelle pour se reconstruire et assouvir son besoin de compétition. Elle gagne le marathon de Paris en 2009 mais doit ensuite renoncer sur blessure aux Jeux de Londres en 2012 où elle s’était qualifiée sur 1 500 et 5 000m. Puis, elle saisit l’opportunité du paracanoë qui entre au programme des Jeux de Rio 2016. Un parcours de passion avec ses hauts et ses bas.
Palmarès en paracanoë : 6ème aux championnats du monde 2015 en KL1, 9ème aux championnats du monde 2016 en KL1, 7ème aux Jeux paralympiques Rio en KL1, 9ème aux championnats du monde 2017 en KL2.
Quel est ton handicap ?
Je suis paraplégique à la suite d’un accident de voiture survenu quand j’avais l’âge de 24 ans. Cela veut dire que mon bassin et mes jambes sont paralysés, une partie de mes abdominaux également. Je me déplace en fauteuil roulant manuel et j’ai besoin d’adaptations des calages pour tenir en bateau.
Comment es-tu venue au kayak puis à la compétition et enfin aux Jeux Para ?
J’étais kayakiste et céiste en eau vive depuis le collège avant de devenir paraplégique. J’évoluais en compétition à un niveau modeste. Je suis encore fière des médailles obtenues en canoë biplace par équipe.
Après mon accident, en 1999, j’ai abandonné la compétition. La place des parasports n’était pas celle qu’ils connaissent aujourd’hui. Mais compétitrice dans l’âme, je ne pouvais pas rester à ne rien faire et je me suis mise à l’athlétisme. J’ai découvert le haut niveau et les courses internationales avec la course fauteuil.
En 2012, blessée, je suis passée à côté des Jeux de Londres où je visais le 1500m et le 5000m. C’est à la suite de cette blessure qui compromettait également ma participation aux Jeux de Rio 2016 et au hasard d’une rencontre que je suis revenue au kayak.
Au printemps 2013, l’information tombe, le kayak sera présent aux Jeux paralympiques de Rio sous le nom de paracanoë, sur une distance unique de 200m. Je croise Pierre-Alain Pointurier qui avait fait partie de mes formateurs lorsque j’avais passé le monitorat qui me dit « Toi qui est kayakiste, qui connaît le haut niveau, tu devrais remettre les fesses dans un kayak pour aller à Rio ». Je ne suis pas ligneuse, je ne suis pas sprinteuse, il ne reste que 3 ans. Cela me paraît impossible. Mais pour rendre au canoë-kayak ce qu’il m’a apporté lors de mon adolescence, j’accepte de contribuer au développement de la discipline. Si ma présence comme partenaire d’entraînement peut servir, allons-y. Relevons le défi !
Quel fut ton parcours de classification pour pouvoir concourir ?
En paracanoë, la compétition commence avant la course, avec les classifications. Dans un souci d’équité, les athlètes sont répartis en trois catégories de handicaps : KL1, KL2 et KL3 pour les handicaps lourds, moyens ou légers. Avant de pouvoir concourir, les athlètes handicapés doivent subir une batterie de tests pour déterminer dans quelle catégorie ils seront classés. Ce sont les classifications. Cette étape qui a lieu généralement 48h avant les courses est épuisante et stressante. Parfois, tu es classifié une bonne fois pour toutes. Parfois, tu dois repasser en classification avant chaque course. Je me suis retrouvée dans cette deuxième situation.
Comment tu t’es qualifiée et comment tu t’es préparée avant Rio ?
Au printemps 2015, je participe à mes premières piges. Ça ne passe pas. Je ne suis pas sélectionnée pour le circuit international : championnat d’Europe, championnat du monde et coupe du monde. Je n’irai pas chercher le quota paralympique correspondant à un top 6 lors des championnats du monde. Il me reste les quotas de rattrapage en 2016 et l’impératif d’être classée dans les 10 premières. Je me contente donc des championnats de France à Gérardmer.
À Gérardmer, sur un bassin démonté, je coure un 200m intéressant semble-t-il puisque quelques jours plus tard, je reçois un appel téléphonique me proposant de rejoindre l’équipe de France. Je n’avais rien prévu. Il fallut que je m’organise, que je pose des congés, que je trouve quelqu’un pour s’occuper de mes fils de 12 et 13 ans. Ma sœur Isabelle et ma mère adhèrent au projet et me voilà partie pour la coupe du monde de Duisbourg puis les championnats du monde de Milan où je prends une sixième place synonyme de quota obtenu. La joie ne dure pas. Ma classification KL1 est remise en cause. Le quota est attribué à la suivante. Je devrais retenter ma chance en 2016 après un nouveau passage par les classifications.
J’alterne entraînements quotidiens après le bureau et stages d’entraînement pendant lesquels on peut monter à trois entraînements par jour. La paraplégie perturbe la thermorégulation, en conséquence machine à pagayer, natation et musculation sont très présents durant la période hivernale. Un bénévole ou un salarié du club m’accompagne et porte mon bateau pour que je puisse naviguer tous les jours. Une personne m’accompagne plusieurs fois par semaine, aussi bien sur l’eau, qu’à la piscine ou en salle de musculation et fait le lien avec l’entraîneur national.
Milan 2016, je suis de nouveau classifiée KL1. Série, demi-finale, finale. Je suis dernière de la finale mais 9ème. Ça passe pour les quotas !
Quelles aides as-tu obtenu pour te lancer dans ce défi paralympique ?
Avant Gérardmer, je m’entraînais entre midi et deux, après le bureau, pas forcément tous les jours. C’était selon les disponibilités des personnes de mon entourage pour m’aider à porter le bateau et à embarquer.
Après les championnats du monde de Duisburg en 2015, j’avais potentiellement décroché un quota pour Rio. J’ai été inscrite sur la liste ministérielle des sportifs de haut niveau. A ce moment, j’ai pu bénéficier d’une Convention d’Insertion Professionnelle et d’une réduction de mon temps de travail tout en conservant un salaire complet. Cette convention m’accordait 2h d’entraînement par jour plus les stages et les déplacements internationaux (une coupe du monde, le championnat d’Europe et le championnat du monde). Il s’agit d’une convention initiée par la FFCK et signée entre l’employeur et le ministère de la jeunesse et des sports.
Au niveau du club aussi, les choses se sont organisées. J’ai pu bénéficier d’une personne pour m’aider à porter mon bateau 6 jours par semaine. Le soutien de la famille s’est avéré indispensable. A chaque fois que je partais en stage d’entraînement ou en course internationale, mes fils étaient pris en charge par leur grand-mère. Pour les compétions sur le territoire français, ils participaient à l’aventure.
D’un point de vue matériel, il a fallu investir. Si j’ai financé moi-même mes deux pagaies (avec une pagaie de rechange en cas de casse), j’ai été aidée pour les kayaks. J’ai bénéficié d’une subvention de la ville d’Orléans pour mon kayak de course. La FFCK a financé le kayak qui est parti en container pour Rio ainsi que mes calages (une coque moulée sur mesure essentiellement). La société Idoine m’a prêté un kayak pour que je puisse continuer à m’entrainer quand mon kayak de course faisait le tour de l’Europe sur le circuit de compétitions.
Comment s’est déroulée la préparation terminale et l’acclimatation à Rio ?
Dans l’équipe de France paracanoë, nous étions 6 athlètes, 4 kayakistes et 2 piroguiers. La pirogue n’est entrée aux Jeux qu’à Tokyo 2020 donc les piroguiers ne pouvaient pas prétendre faire partie de l’équipe RIO 2016. Le staff n’avait pas prévu que les 4 kayakistes décrochent un quota mais nous l’avons fait : Cindy, Martin, Rémy et moi.
La FFCK qui n’avait pas prévu des accréditations pour les personnes accompagnants les athlètes a dû trouver une solution. Parmi les personnes bénéficiant d’une accréditation, il y avait le DTN Philippe Graille. Eh bien qu’à cela ne tienne, c’est lui qui est venu nous porter du renfort. Lors de l’un de nos derniers stages d’entrainement dans les Hauts de France, il est venu apprendre à nous connaitre. Avoir le patron qui vient se mettre à votre disposition c’est impressionnant et très valorisant.
Quand on n’est pas dedans, les Jeux sont des évènements extraordinaires. Mais j’ai vécu la préparation terminale comme si tout était normal. Je n’ai pas perçu que je vivais quelque chose d’exceptionnel. C’est au retour de Rio en voyant la médiatisation qui avait été faite et lorsque j’ai entendu les mots « retour à la vraie vie » que j’ai compris ce que je venais de vivre. Pour moi, la compétition internationale, le haut niveau, les Jeux, ce n’est pas la vie de tout le monde mais c’était ma vie. Une vraie vie.
En arrivant au village paralympique, j’ai eu le sentiment d’être à la maison, parmi les miens. J’ai tout de suite fait l’analogie avec le village des Jeux Méditerranéens de 2009 auxquels j’avais participé. J’ai retrouvé des athlètes français et étrangers que je côtoyais quand je pratiquais l’athlétisme.
Je n’ai pas souvenir d’avoir souffert de la chaleur mais plutôt de la climatisation poussée un peu trop fort dans les transports.
Nous sommes arrivés peu de temps avant nos courses et nous n’avons pas assisté à la cérémonie d’ouverture. Je ne me souviens pas particulièrement d’avoir subi le décalage horaire. Ce qui perturbait notre sommeil, c’était plutôt la fête que faisaient les athlètes qui avaient déjà terminé leurs épreuves.
Quels furent tes choix de matériel et les adaptations nécessaires ?
En matière de pagaie, il n’y a pas eu de stratégie particulière.
Pour mes calages spécifiques cela a été un peu compliqué. Il a fallu choisir la hauteur de la coque dans le dos pour apporter suffisamment de maintien sans empêcher le peu de rotation que mon handicap me laisse. Il a fallu faire un choix également sur l’angle entre le buste et les jambes. A l’époque, je naviguais jambes tendues. Je pensais qu’avoir les jambes à plat au fond du bateau m’apportait plus de stabilité.
Pour le bateau : éternel dilemme entre un bateau rapide mais instable ou un bateau plus stable et moins rapide. J’ai couru en ‘’Mastor paracanoë’’ plus stable que le ‘’Nelo type quattro’’ dans lequel Cindy Moreau est allée chercher sa médaille. Martin était en ‘’Plastex’’ et Rémy en ‘’Nelo’’. Pas de jaloux, les 3 principales marques de bateaux utilisés étaient de la partie.
Parle-nous de tes courses à Rio. Comment cela s’est passé ?
En partant pour Rio, l’objectif était 3 finales et 1 médaille. Nous avons fait carton plein avec 4 finales et 1 médaille.
Le bassin n’était pas merveilleux, ce n’est pas là que j’allais taper un record. Si nous n’avons pas particulièrement été embêtés par les algues comme cela avait été annoncé, le bassin bougeait. Il y avait du vent de côté.
À la base, je suis une coureuse de demi-fond, pas une sprinteuse. Il me faut du temps pour me mettre dans le bain et faire baisser les chronos. Je commence par une série en 1’06. Ça suffit pour passer en demi-finale où je fais 1’04. Heureusement 3ème, je passe donc en finale où je fais 1’03 avec une 7ème place. J’ai fait le job et je déclare : « Je ne décroche pas de médaille comme certains auraient aimé. Mon parcours en paracanoë est récent. J’ai fait une super course, les autres étaient meilleures. Je n’ai aucun regret parce que j’étais là, j’ai donné le meilleur de moi-même et vous étiez là, avec moi. ».
Et l’ambiance pendant ces Jeux avec l’équipe de France paracanoë ?
J’ai l’impression que quand on courre en deuxième semaine des Jeux, on fait moins la fête que ceux qui passent en première semaine… Au village, l’ambiance était donc à la fois très festive et très sérieuse. Cindy et moi partagions un appartement avec une cycliste Katell Alençon. Les garçons avaient leur appartement.
Toute la délégation française était logée dans le même immeuble avec au rez-de-chaussée des salons communs. Le fait de ne pas appartenir à la même fédération et de ne pas être arrivé en même temps a cependant créé une certaine distance au départ. Ou plutôt jusqu’à ce que nous ayons fini nos courses. À ceci près que comme j’ai fait partie de l’équipe France d’athlétisme handisport, il nous arrivait de manger avec l’équipe d’athlétisme.
La restauration au village, était possible 24h sur 24h avec une diversité qui permet à chacun de trouver son compte. Une salle de sport gigantesque était aussi ouverte 24h sur 24h.
Les cérémonies d’ouverture et de clôture.
Après les Test-Events, le staff avait estimé que l’adaptation au décalage horaire ne serait pas difficile et nous ne sommes arrivés que quelques jours avant le début de nos courses. Comme nous avions l’habitude de le faire en Europe. De ce fait, nous n’avons pas participé à la cérémonie d’ouverture et nous étions focus sur la performance jusqu’à la fin de nos compétitions. En revanche nous avons assisté à la cérémonie de clôture. Le spectacle était impressionnant mais je crois que j’ai d’avantage été impressionnée par l’organisation et le temps que cela a pris pour placer tous les spectateurs, plus de 2h.
L’après-Jeux. Un peu de tourisme… Et puis, la vie reprend son cours…
Une fois nos courses terminées, nous avons pu profiter de la fête. Déjà boire un coup avec les amis et la famille qui étaient venus voir nos courses et nous supporter. Boire dans des gobelets datés du jour de compétition. Puis le club France, où nous étions les héros du jours à côté des athlètes des autres disciplines aux palmarès souvent impressionnants. Je pense à Joel Jeannot, Sandrine Martinet, Elodie Lorandi…
Nous avons changé de casquette et sommes devenus supporters à notre tour. Je suis allée au stade voir courir les copains. On voit moins bien qu’à la télévision mais quelle ambiance ! Boire dans des gobelets ou échanger des pièces à l’effigie de votre sport.
Nous sommes montés dans les favélas, goûter la traditionnelle feijoada. Nous avons fêté les 50 ans du DTN dans une churrascaria, non moins traditionnel restaurant de viande brésilien. Sur la plage, nous avons bu du jus de coco frais avec la paille directement dans la noix de coco. Sans oublier la montée au Pain de Sucre en téléphérique. On refait les valises, on reprend la direction de l’aéroport, on croit la fête terminée mais non, ça dure encore pendant tout le voyage. Si à l’aller, il n’y avait que l’équipe paracanoë dans l’avion, cette fois, il n’y a quasiment que des paralympiens et… Gérard Depardieu.
Je n’oublierai pas la médaille et le bonheur de Cindy ! Sans cela, la fête n’aurait pas été aussi belle.
Agnès Legroux-Lacheux (mars 2024)
Témoignage recueilli par Jean-Paul Cézard
Les témoignages n’engagent que leurs auteurs.