Les Jeux paralympiques 2016 de Rio vus par Rémy Boullé

Rémy Boullé aux JO. de Rio. — Photo CPSF-Hartmann

Ancien commando parachutiste, Rémy Boullé a participé aux opérations de l’armée française en Afghanistan, au Mali ou encore au Tchad. À l’âge de 26 ans, le 4 septembre 2014, Rémy devient paraplégique à la suite d’un accident de parachutisme au cours d’un entrainement militaire. Sportif dans l’âme (il était membre de l’équipe de France espoir de parachutisme), Rémy sent que pour accélérer sa reconstruction, il doit s’investir dans le sport. Rémy se tourne alors vers une passion de jeunesse, le kayak, et se met au défi de participer aux Jeux Paralympiques de Rio. Il réussit cet exploit et se classe 5ème de la finale du 200 m. Il s’est donné pour principe que le handicap n’est pas « la fin mais le commencement d’une nouvelle vie à reconstruire ». Ceci tout en restant très attaché à ses frères d’armes : le monde des commandos.

 

J’endosse le costume de l’équipe de France pour la première fois en 2016. — Photo CROS Val de Loire

Mon début de parcours.

J’ai commencé le kayak à l’âge de douze ans puis j’ai arrêté à dix-sept ans en rentrant dans l’armée. Après l’accident, je me suis relancé avant les JO de Rio en 2016. J’ai toujours été super sportif, c’était une obligation dans la famille. On est quatre enfants, mon père partait souvent en mission à l’étranger avec l’armée. Ma mère avait ses samedi après-midi libre et ses dimanches un peu tranquille. Mon frère pratique encore le foot, ma sœur le kayak, mon autre frère c’est foot et kayak. On adore le sport.

Jeune, je participais à toutes les activités au club de Cloyes-sur-Loir. Un week-end je faisais les championnats de slalom, l’autre week-end c’était en descente et le week-end suivant c’était la course en ligne. J’avais déjà un petit faible pour la course en ligne et la vitesse. C’était un petit club où on était une dizaine de compétiteurs. Tous les mercredis après le collège je faisais un petit tour de kayak. J’étais à fond dedans. Plus tard, comme il fallait travailler pour gagner sa vie, j’ai dû arrêter.

Avec le kayak, j’ai beaucoup pratiqué le football mais j’ai arrêté à 20 ans. J’avais commencé plus tôt que les autres, j’étais plutôt explosif. J’ai aussi fait pas mal de course à pied. A l’armée, tu en fais beaucoup. Je courrais quatre à cinq fois par semaine. Très vite, je me suis mis au parachutisme.

En sortie de collège après mon brevet, j’ai fait un CAP chez les Compagnons du Devoir, en tant que métallier-serrurier. Je ne voulais pas rester sans rien faire en attendant de pouvoir rentrer dans l’armée. Chez les Compagnons, c’est très strict et ça m’a permis de me cadrer. Dès mes 17ans j’ai passé mon concours pour rentrer à l’armée. Je suis entré chez les fusiliers commando de l’air puis j’ai réussi les sélections en interne pour devenir commando parachutiste. Mais on ne pouvait pas y entrer sans le BAC. J’ai aussi hésité à faire la légion étrangère mais c’était incompatible avec une vie normale.

 

Je participe à la cérémonie du 14 juillet 2016 avec mes camarades militaires. — Photo Journal Armée de l’Air et de l’Espace

À l’armée, aucune journée n’est pareille. Si tu n’es pas en mission, tu as obligatoirement sport le matin sauf si tu as un entraînement spécifique militaire. C’est deux à trois heures le matin. Tu peux aller faire un 20 km, ou bien 10 km suivis d’une séance musculation. Rien n’est figé. Tu es autonome dans l’armée de l’air. Repas à 11h et on reprenait à 13h30. L’après-midi c’était de l’instruction générale (tir, aéro-cordage, etc…) ou de l’instruction dans ma spécialité (les transmissions) ou bien je formais des jeunes. Aucune journée n’est pareille !

J’ai eu la chance d’avoir fait des missions et des sauts de parachutes qui m’ont permis d’avoir des points pour la retraite. J’ai été réformé à la suite de mon accident, ça veut dire que j’ai été mis à la retraite. J’ai donc une pension de retraite une peu plus satisfaisante.

 

Le jour de mon accident.

Je revenais d’une mission au Mali, j’avais pris une petite semaine de vacances. Mais on m’a rappelé parce qu’il me manquait des sauts opérationnels. Aucun problème, j’adorais sauter en parachutisme. Ce jour-là, le premier saut du matin s’est mal passé. Mon parachute ne s’est pas ouvert. Les procédures prévues ne se sont pas passées comme il aurait fallu. Je me suis retrouvé sous mes voiles emmêlées. Une chute d’environ 800m. Pendant ces trente secondes, on a le temps de prendre conscience de ce qui va se passer. D’autant plus qu’une amie, multi-championne du monde en parachutisme, s’était tuée un an avant presque sur le même style de saut. J’ai pensé à elle et aux risques à l’atterrissage. Dans ces moments-là, tu te dis que dans dix secondes c’est terminé, tu es mort. Tu essaies de survivre en ouvrant la voile, tu te bats.

Au final, tu essaies d’arriver le plus droit possible pour faire en sorte que ce soient tes jambes qui se brisent et rien d’autre. J’avais peur de faire une hémorragie interne mortelle. Ce sont mes pieds et mes jambes qui ont tout pris. L’onde de choc a explosé mes vertèbres. J’ai aussi eu des dents cassées. Tout cela sans perdre connaissance.

 

Le drame de l’irréversibilité.

À l’hôpital, quand je me suis réveillé des opérations, mon frère était là. C’est très dur de voir son frère pleurer. Il a dû gérer l’annonce aux parents… Le chirurgien m’a annoncé que la moelle épinière avait été fortement compressée et pas entièrement sectionnée. J’ai compris que je ne marcherais plus dans son regard. Et je n’ai jamais ressenti depuis mes jambes. Sur le moment, j’avais tout perdu. J’étais en équipe de France espoir de parachutisme, c’était ma passion. Mon métier, c’était ma vie. Ma deuxième passion était la course à pieds devenue impossible. J’ai bien essayé de me projeter mais sans diplôme, sans le Bac, je me demandais ce que j’allais devenir.

La paraplégie ce n’est pas bien connue. C’est une paralysie du bas du corps, sous le nombril, entraînant des risques d’infection urinaire qui peuvent être mortelles. Il y a quinze-vingt ans, beaucoup de paraplégiques mourraient de ça. J’en ai fait une trentaine avec une dizaine d’hospitalisations et une opération. Ta température monte à 41,5°C pendant deux jours. C’est compliqué à gérer et ça fait régresser tes acquis sportifs.

 

Le déclic

Au bout de quatre mois, le temps que les vertèbres se consolident, ma première douche assise, j’ai vu que j’avais perdu énormément de poids et ça a été le déclic. Il fallait arrêter de se morfondre. Je voulais me remettre au sport. Il existe une convention avec l’institut des invalides, avec du matériel spécialisé pour les handicapés où toutes les machines de musculation sont adaptées. Je faisais du sport tous les mercredis. Et j’ai pensé aux Jeux paralympiques de 2016. C’était en 2015, je voulais y arriver. Le paracanoë venait d’entrer au programme pour la première fois.

Je me suis retrouvé en fauteuil roulant. — Coll. FFCK

Je tiens à souligner le rôle important de Robert Marrand, ex-président de mon club orléanais qui m’a soutenu et me soutient encore. Sans lui rien n’aurait été possible. De même Agnès Legroux-Lacheux, la présidente actuelle, elle-même paraplégique et finaliste aux Jeux de Rio.

Jean-Christophe Gonneaud, responsable FFCK du paracanoë, que j’avais contacté m’a expliqué que pour se qualifier aux championnats du monde 2015, il y avait quatre places en jeu. Je lui ai répondu que je ferais partie des quatre ! Je me suis rapproché du club de kayak d’Orléans. Agnès Lacheux, la présidente, avait  pratiqué le paracanoë en paraplégique. Je l’ai contactée pour avoir des conseils et avancer plus vite. Le club a tout fait pour moi. Hypermotivé, je me suis entraîné pendant quatre mois. J’ai pu faire les championnats de France et réalisé le chrono demandé sur 200m pourtant, je n’ai pas été retenu. J’ai fait une petite dépression pendant quelques mois sans faire de kayak. Puis, début 2016, le responsable m’a rappelé pour participer à un stage au Portugal avec l’équipe de France para-canoë-kayak. En mai 2016, j’intégrais l’équipe de France.

 

Ensuite, tout est allé vite jusqu’au Jeux de Rio.

J’ai terminé huitième au championnat du monde en mai 2016, c’était le dernier quota qualificatif. Un mois plus tard, je terminais deuxième aux championnats d’Europe à Moscou et en septembre direction les Jeux Paralympiques où j’ai terminé cinquième. J’espérais mieux…

Je suis hyper-motivé par l’enjeu lors de mon entrée en scène en série qualificative. — Photo CPSF-Hartmann

En fait, à Rio, je n’étais pas prêt physiquement. Deux mois avant les jeux, pour se détendre avec ma compagne, on a décidé de se faire une journée de balnéo. Au sauna je n’ai pas fait attention j’ai mis mes pieds insensibles devant la buse qui crache de la vapeur. Je suis brûlé au troisième degré aux deux talons. Pendant un mois je n’ai pas pu faire de kayak car la priorité était de guérir avant les Jeux. Je n’avais aucun autre entraînement que le bateau à cette époque. Pas de Crossfit, pas de machine à pagayer… donc tous les jours j’allais faire des kilomètres de fauteuil roulant pour me muscler Tronc-épaules et bras.

Malgré cela, quand je suis arrivé aux Jeux, je rêvais de la troisième place. J’ai finalement terminé cinquième à une seconde du premier. C’était très serré et je me suis senti dans le coup !  Mes adversaires avaient des handicaps variés, plus lourds que le mien mais aussi plus légers. Avec Martin Farineaux (sélectionné en catégorie KL3), on a dédramatisé la situation. Cela faisait juste un an que j’étais sorti de l’hôpital… Au final, on a participé à ces Jeux sans vraiment « se prendre la tête ».

 

Les adaptations matérielles

Je suis classifié en catégorie KL1. J’ai le bassin semi-libre, je suis attaché au niveau des abdos. Mes jambes ne sont pas attachées car j’ai la chance de ne pas avoir de spasme par rapport à d’autres paraplégiques. J’ai une mousse entre les jambes un peu comme certains slalomeurs. Les calages (coque) de mon bateau sont faits sur mesure, mon cale-pied est vertical au lieu d’être incliné. Mon bassin bouge très peu, je ne pédale quasiment pas.

Rémy Boullé et Agnès Legroux-Lacheux complices. Mêmes Jeux, même type de handicap, même club d’Orléans. — Photo CPSF-Hartmann

Au niveau de nos bateaux, ce sont les mêmes constructeurs que pour les valides, ‘’Nelo’’ et ‘’Plastex’’, qui nous fournissent. En longueur, ce sont les mêmes bateaux avec un poids mini de 12kg. Par contre, ils ont une largeur imposée pour assurer une meilleure stabilité (52cm soit environ 15 cm de plus) qui se paie par une moindre vitesse. Il faut tirer super fort pour atteindre les 17 km/h. J’ai commencé sur ‘’Nelo’’ mais le ‘’Plastex’’ semble un peu plus rapide. Pour moi, le ‘’Nelo’’ est plus facile à gîter et à diriger car j’ai un gouvernail adapté. Par vent de travers, il ne faut pas que je me loupe.

 

Mon entourage aux Jeux de Rio

Ça a été une belle expérience. Ma famille et mes parents sont venus. Ma mère n’avait jamais pris l’avion. Pour eux aussi ça a été une belle expérience. Il y a eu du bon et du moins bon. Les leçons que j’en tire c’est que cela m’a peut-être fait contre-performer. Tu es cloîtré dans le village olympique et tu penses aux moments que tu aurais aimé partager avec eux. C’était déstabilisant.

 

Rémy Boullé (Février 2024)
Pseudo commando para : BOBBY

Témoignage recueilli par Jean-Paul Cézard

 

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