Les Jeux olympiques de Tokyo 2020 vus par Martin Thomas
Martin Thomas, né en 1989, effectue ses premiers coups de pagaie au club de Jarnac en Charente en 2003. Après plusieurs années au centre d’entraînement régional à Angoulême il décide d’aller s’entraîner à Pau où se trouvent les meilleurs français dont Tony Estanguet. Passionné par le canoë, et malgré la concurrence, il persévère pour atteindre le très haut niveau.
Faisant d’abord priorité à ses études de kinésithérapie, il décroche en 2015 sa première sélection en équipe de France senior et sa première finale en championnat du monde et le quota olympique français pour les jeux de 2016.
En 2019, Martin concrétise en devenant vice-champion d’Europe. Et se qualifie l’année suivante pour les Jeux de Tokyo où il termine à la 5e place.
Des Jeux incertains où l’adaptation était la clé.
Les sélections olympiques
Il faut rappeler le contexte dans lequel nous avons couru les sélections. Tout juste sortis du premier confinement au printemps 2020, les dates des sélections étaient incertaines. L’entraînement durant les mois précédents était très différent en fonction de chaque athlète. Pour ma part je n’ai pas pu naviguer, confiné en Charente, j’ai maintenu mes capacités physiques et surtout mon envie de sortir du confinement plus fort. Tandis que d’autres ont été complètement déstabilisés par cette période inédite, de mon côté j’ai fait entièrement confiance en mes capacités d’adaptation.
Une fois la sélection olympique en poche, j’ai basé ma préparation sur l’adaptation. Nous ne pouvions pas aller nous entraîner sur le bassin de Tokyo, il me fallait enlever toute incertitude en adaptant mon matériel, ma technique, mon état d’esprit de façon à être un vrai passe-partout et n’avoir aucune surprise en arrivant !
Focus sur l’objectif
Nous savions que ces JO, s’ils étaient maintenus, seraient particuliers. La date était incertaine, à huis clos, sous 35°C et une humidité incroyable, bref c’était l’aventure. Mais c’est finalement ce que j’aime, partir dans l’inconnu et savoir s’adapter pour trouver les ressources qui me pousse à être meilleur.
Pas de public ? Ce n’est pas grave, je suis venu pour la compétition et pas pour son emballage ! J’ai rêvé des Jeux pour faire partie de cette compétition unique qui rassemble tous les sports, tous les pays, tous les grands athlètes du monde au même endroit.
J’étais tellement focus sur l’objectif que le manque d’euphorie ne m’a pas atteint. J’étais tout simplement heureux de pouvoir vivre de l’intérieur cet événement !
La chambre au village
Le village olympique est un lieu éphémère unique au monde. Je retiens un très bon souvenir d’avoir partagé l’appartement avec nos skaters emblématiques français Vincent Milou et Aurélien Giraud. Ils m’ont même offert deux boards qu’ils ont utilisées lors de leurs épreuves, je suis fan de skate !
La cérémonie d’ouverture
Ce moment était d’autant plus incroyable que l’attente avant d’entrer dans le stade est interminable !
Confinés dans les sous-sols du stade en uniforme protocolaire absolument pas étudié pour la chaleur, nous étions dans le même état qu’après 20 minutes de sauna !
Sublimés par l’esprit de ferveur et les chants de l’équipe avant d’entrer dans le stade, la température n’a fait que monter ! Bref nous étions très chauds !
C’est alors que Samir, notre porte-drapeau nous a gratifié d’un salto mythique aux yeux du monde entier. Incroyable…
L’entraînement sur le bassin
Difficile de faire confiance à ses sensations quand on n’en a pas ! L’eau était très chaude, le bassin pas très gros, et surtout quelques mouvements aléatoires. Je suis plutôt du genre bassin puissant avec de l’eau dure (froide)… alors j’ai fait avec ! Yann était plutôt satisfait de ma navigation sur les jours d’avant course, je montais en puissance et je lui faisais confiance. Je savais que je pouvais compter sur lui à tout moment, que je ne raterais aucune info, qu’il veillerait à écarter toutes les mauvaises ondes de ma trajectoire !
Ma confiance grandissait au fil des séances. Néanmoins j’avais une bête noire. Ce rouleau au milieu du bassin. Il s’ouvrait, se fermait, formait un contre, puis du courant, soit je cassais le chrono, soit j’avais la tête sous l’eau. Je ne comprenais pas ce mouvement et surtout je savais que je dépendais totalement du tracé qui serait mis en place le jour de la course.
La course
Je crois que je n’ai jamais ressenti autant de confiance en moi (même si je pars de loin !) J’étais prêt !
Il me restait uniquement deux points à surmonter : la température, et le fameux rouleau.
En qualification je me suis totalement épuisé à m’échauffer comme à mon habitude. Tête qui tourne, cœur qui palpite même au repos, l’impression de se noyer en respirant. Alors j’ai changé de stratégie en demi-finale : glaçons, eau fraîche, bain froid, échauffement physique minime. Ma stratégie de refroidissement a fonctionné : j’étais frais au départ !
Ce moment dans les starts, est un moment que je n’oublierai jamais. J’étais prêt et l’envie de m’éclater sur l’eau était là. Je choisis de me laisser porter par mon feeling pur, j’étais tellement en mode automatique que je n’ai quasiment pas analysé le parcours avant.
Le résultat était là, je remporte la demie sans avoir puisé dans mes réserves.
La finale
Vivre une finale olympique c’est aller au bout du processus. Le job a été fait jusque-là. C’est maintenant qu’il faut aller chercher le graal. Comme en demi, je mise tout sur la cryo avant la manche. J’avais la sensation de faire du bateau dans un sauna c’est très spécial. Ça y est, c’est le moment d’aller au start, de monter le tapis. Je savais que tout était en place. Ma manche de demi-finale n’était pas parfaite, je me focalisais sur ce que je pouvais aller chercher d’encore mieux. Mon esprit était complètement libre, et j’étais serein sur mon état de performance. Les premiers coups de pagaie sont excellents, je me sens voler sur l’eau, mon corps réagit avec automatisme c’est très grisant. Mais ce moment de grâce est stoppé net par ma bête noire, ce rouleau aléatoire en milieu de parcours. Il s’ouvre et me sort de ma trajectoire. Mon élan est coupé, je me crispe, et y laisse trop d’énergie. Je sais que ça va être dur et je finis tant bien que mal en ayant laissé mes chances de médaille dans ce rouleau. Cinquième place à 1 seconde du podium.
Une immense frustration m’envahît, ainsi que de la déception. A posteriori, je réalise la chance que j’ai eu d’avoir pu vivre un rêve et avoir eu les capacités de jouer une médaille olympique.
Quel sport incroyable !
Petites anecdotes :
– J’ai très mal dormi la veille des qualifications (merci la literie révolutionnaire en carton et vermicelle du village olympique !). En arrivant sur le site de compétition, j’essaye de me convaincre que tous les voyants sont au vert… jusqu’à ce que j´entre dans la tente France et que je croise le médecin qui me dit “oulaaaa, tu as une sale tête ce matin, ça va ?” …
– Pour préparer ma sélection olympique j’ai dû m’entourer de personnes ressources externes à la fédération. Malheureusement, passé la sélection, la fédération n’a pas accepté que je puisse continuer de travailler avec mon coach jusqu’aux JO. C’est donc tout un fonctionnement que j’ai dû retravailler, perturbant parfois mon focus sur la préparation.
C’est dans ce contexte que j’ai initié ma préparation avec Yann Le Pennec, qui a donné son maximum pour me porter le plus haut possible et me mettre dans les meilleures conditions.
Et en bilan
Nous avons eu que très peu de moyens pour préparer cette échéance mais les athlètes ont réussi à donner leur meilleur. Merci à Yann pour son implication sur cette année olympique !
Je remercie tous mes proches et ceux qui ont participé de près ou de loin à ce rêve d’athlète.
Martin Thomas mai 2024
Témoignage recueilli par Sylvaine Deltour
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