Les JO de Pékin vus par Cyrille Carré, finaliste en K2 1 000 m

Cyrille Carré à la cérémonie de clôture. — Photo FFCK Brogniart

Cyrille Carré est né en 1984 dans une famille de kayakistes de Mailly-la-Ville à 30 km d’Auxerre. Il débute le canoë-kayak très jeune, dès 5 ans. En 2002, il devient champion du monde junior en marathon et ne quittera plus les équipes de France de course en ligne-sprint et/ou de marathon jusqu’en 2023. Très endurant et grâce à une technique fluide et souple, il est le spécialiste des longues distances.

Il obtient 6 médailles lors de championnats du monde : 3 en marathon dont un titre en 2019 et 3 en course en ligne dont le titre de champion du monde en K2 1 000 m associé à Philippe Colin à Duisbourg en 2007.

Cyrille participe à trois Jeux olympiques :
– 2008 à Pékin il est 6e en K2 10 000 m avec Philippe Colin
– 2012 à Londres il termine 12e du K1H 1 000 m
– 2016 à Rio il se classe 13e du monoplace et 7e en K4 1 000 m

Compétiteur dans l’âme, il prend encore part, à 40 ans, aux sélections françaises pour les JO de Paris en 2024.

 

L’histoire de la formation d’un équipage d’excellence

C’est lors d’un stage d’équipe de France au Portugal en février 2006 que Philippe Colin et moi-même sommes montés ensemble en K2 pour la première fois. Afin de préparer les championnats d’Europe à Racice en République tchèque, notre entraîneur de l’époque (Jean-Pascal Crochet) nous a incité à changer les places dans le bateau en mettant Philippe à l’avant. Placer le plus lourd et le plus puissant à l’avant était atypique. Mais, dans cette configuration, et dès la première séance, le bateau glissait aussi bien à faibles cadences qu’à plus grande vitesse. Et nous avons fait nos premières finales dès cette année 2006 au Europe et surtout aux championnats du monde à Szeged. C’était notre premier exploit d’arriver 7es lors d’un mondial à 2 secondes du podium et d’être dans le coup face à des bateaux multi-médaillés. Un projet de K2 performant naissait alors avec de belles perspectives.  En effet, la précédente olympiade avait été bien terne et seul Babak Amir Tahmasseb s’était hissé en finale des JO d’Athènes.

Philippe Collin et Cyrille Carré en 2007.

En 2007 : une montée en puissance et la construction d’une philosophie de course

Les sélections en équipe de France à l’époque s’effectuaient en monoplace sur 1 000 m et sur 500 m, et avec des indicateurs mathématiques. Je gagne le 1 000 m avec de bons chronos et j’intègre l’équipe ainsi que Philippe. Durant toute cette saison notre équipage progresse et nous atteignons les podiums dans toutes les courses internationales : 1er à la coupe du monde de Zagreb, 3e à Szeged à moins de 2 secondes des Hongrois et 3e aux championnats d’Europe à Pontevedra en Espagne dans la même seconde que les deux premiers : Hongrois et Allemands.

Lors de ces compétions complexes avec des séries, une demi-finale et une finale, nous avons développé une méthode et presque une philosophie pour s’engager progressivement dans les courses. En effet nous avons appris à monter en puissance lors des premières courses en répétant des stratégies ou en se concentrant pour valider certains thèmes. C’est en finale que l’on pouvait alors maximiser notre potentiel en prenant éventuellement en compte les tactiques des autres bateaux.

À la fin de ces championnats d’Europe et pour fêter cette seule médaille obtenue sur une distance olympique, nous avons fait une belle fête dans un restaurant, tous ensemble… C’est également une philosophie très importante pour moi : le sens de la cohésion, du partage avec les autres membres de l’équipe et du staff.

 

Le titre mondial en K2 1 000 mètres en 2007 : un exploit partagé

Après le stage de préparation terminal à Temple-sur-Lot, tout était en place pour les mondiaux de Duisbourg. Il y avait beaucoup de supporters lors de ces mondiaux dont mon entraîneur personnel, Alain Acart et ma famille. J’ai gardé mes rituels habituels : polisher le bateau moi-même, effectuer un échauffement en deux temps, me concentrer par la lecture de mon auteur favori (Dan Millman), bénéficier d’une activation par des techniques crâniennes. Bref, être ici et maintenant et surtout être présent à l’instant T…. Avec Philou, nous avons déroulé ce que nous savions faire, tout avait été mis en place avant et allait conditionner notre course ; la finale allait juste sublimer notre préparation…

Je me souviens parfaitement de cette course à la ligne d’eau 9, avec tout le gratin mondial dans les starts. Départ réussi, 2e départ au train en «avancée par coups», remobilisation au 500 mètres, pas de problème de gîte, la relance au 250 mètres au «hop» que je donne… Et là : une sensation de fou ! Une énergie de folie, la fluidité même en augmentant la cadence… Le jeté sur la ligne d’arrivée, l’incertitude du résultat… La tape à l’épaule et la question à mon équipier «on fait quoi ?» Et la confirmation :  «On est 1ers 

Arrivée championnat du monde Duisbourg Philippe Collin et Cyrille Carré en 2007. — coll C.Carré

 

Podium des mondiaux de Duisbourg. — coll C.Carré

Grandes émotions partagées ! Même Babak, en spectateur, était un des premiers à venir nous féliciter et nous passer en quelque sorte le relais, la transmission de générations.

Babal Amir Tahmasseb félicite Cyrille à l’arrivée des mondiaux de 2007. — coll C.Carré

On a fait un peu le show sur le podium avec le cœur dessiné sur les mains pour Laure Manaudou. Après les interviews avec les médias, dont j’avais toujours un peu peur, nous avons pu profiter des proches et de tous les supporters.

Cyrille Carré et son entraîneur Alain Acart à l’arrivée des mondiaux de 2007. — coll C.Carré

Je termine cette incroyable saison 2007 avec le titre gagné aux championnats d’Europe des moins de 23 ans à Belgrade en K1 1 000 m et avec un temps canon de 3’26’’282.

Philippe lui, était allé aux préolympiques à Pékin en courant en K2 avec Sébastien Jouve.

 

Fin 2007 jusqu’en fin 2008 : pouvoir concilier travail rémunéré et entraînement

En 2006 et 2007 j’ai pu travailler au club d’Auxerre à temps partiel grâce à un CAE (Contrat d’Accompagnement à l’Embauche) durant lequel j’ai passé mon Brevet d’État. Puis, n’étant pas reçu au Centre National Sport Défense (ex-Bataillon de Joinville et École Interarmées des Sports), j’ai fait une candidature spontanée en tant qu’athlète militaire. J’ai été pris à Issoire au 28e régiment de transmission. J’ai effectué de manière volontaire 2 semaines de «classes» sur les 11 semaines habituelles puis j’ai été détaché pour m’entraîner. Ces 15 jours ont été durs et m’ont aussi appris la discipline militaire et m’ont beaucoup appris sur les capacités mentales que l’on peut mobiliser et sur les personnalités très différentes des engagés.

Cette situation de militaire a été confortable pour pouvoir m’entraîner à temps plein (avec 750 euros par mois…)  afin de préparer au mieux les Jeux olympiques. J’ai bien perçu la différence quand, en 2009, j’ai dû assumer le travail de pompier professionnel à 35h par semaine avec l’entraînement…

 

La préparation lors de l’année olympique 2008

L’année olympique a été plus dense en bateau qu’habituellement pour moi qui aime bien profiter de l’hiver pour faire le maximum de préparation physique générale. Nous avons fait un stage de kayak dès décembre à Séville, et après le stage de ski de fond de janvier, sommes partis 3 semaines au Maroc à Ouarzazate. On montait régulièrement en K2 mais je devenais hyper perfectionniste, voulant tout contrôler pour que tous les paramètres soient au vert… Il y avait moins de sérénité dans le bateau mais nous allions vite et enchaînions de grosses séances avec un Slovène également présent aux portes du désert.

Après les traditionnelles piges françaises où nous avons bénéficié de 2 courses bonus en tant que champions du monde en titre, nous repartons sur le même équipage avec François During comme entraîneur.

Aux championnats d’Europe de Milan en mai qui servait de repêchage continental, nous finissons 3es derrière les Danois et les Espagnols et nous sommes déçus… En fait, après notre grosse performance de 2007, on a eu tendance à vouloir tout gagner tout de suite, à vouloir griller des étapes, à perdre en communication entre nous et entre nos entraîneurs. On perdait en sérénité. Des petites incompréhensions quant au planning de préparation, un ressenti de stress et de tensions de la part de l’entraîneur…

Lors de la Coupe du monde de Poznan, nous finissons deuxièmes mais battus par un autre équipage français : Vincent Lecrubier et Sébastien Jouve sélectionnés également aux JO de Pékin sur le 500 mètres.

 

La préparation terminale avant les JO

La préparation terminale s’est déroulée au Japon dans un climat humide et chaud, proche de celui régnant à Pékin. Nous y avons apprécié la culture japonaise calme, polie et lissée. Lors des bons entraînements, nous avions l’impression d’être dans le vrai mais sans référence. Nous avons bénéficié de conditions idéales avec des gilets réfrigérés, de la clim pour bien récupérer… Le climat était serein et nous étions satisfaits de notre préparation. Après deux semaines de stage nous nous sommes encore mis au vert à Tokyo avant d’arriver à Pékin dans un hôtel et ses petites maisonnettes avec jardin, tout près du bassin olympique. J’ai été impressionné par la démesure des installations et des tribunes du bassin et aussi surpris par toutes les mesures de sécurité autour de nous.

L’hôtel de l’hébergement à Pékin. — Photo FFCK A. Brogniart

 

Les courses des JO de Pékin

Nous étions prêts à en découdre. Avec seulement 14 bateaux en course, il n’y avait que deux séries où les 3 premiers étaient qualifiés pour la finale plus un repêchage pour sélectionner 3 autres équipages pour la finale.

Cyrille polishe avec minutie le bateau. — Photo FFCK Thiebaut

Nous terminons 3es de la première série à 3 secondes des Allemands et à 2 dixièmes des Danois donc qualifiés directement pour la finale se déroulant 4 jours plus tard.

À l‘arrivée de la demi-finale. — Photo FFCK Thiebaut

En finale nous avons fait notre course, en faisant le maximum, nous passons la ligne d’arrivée et on se retrouve 7e… On est décontenancé, le résultat espéré n’est pas là.

(Nous serons finalement classés 6es par disqualification pour dopage des Polonais.)

La course de la finale. — Photo FFCK Thiebaut

Le debriefing avec notre coach est rapide et on a l’impression d’avoir fait ce qu’il fallait et nous n’avons pas de regret sur notre course.

Je m’écroule en larmes dans les bras d’Alain Acart derrière les tribunes, un grand moment de partage avec lui. C’était la fin d’une aventure, hélas sans le dénouement attendu.

Résultats des courses de K1 1000m de Pékin.

 

Comment expliquer notre «échec» ou  «contre performance» ?

Être champion du monde en titre et louper la finale olympique… Une grosse déconvenue. Comment l’expliquer ? Nous avons fait une course linéaire mais pas pleine de «peps»… A-t-on manqué de folie ou d’énergie ?

J’ai fait beaucoup d’hypothèses pour trouver des réponses à mes questions. Au moment de notre course, avions-nous les bonnes intentions ? Étions-nous vraiment prêts physiquement ? Étions-nous assez sereins sur cette année olympique ?

Les choses ont été dures après notre finale où nous n’avons pas partagé ensemble notre tristesse et où, après les JO, nous ne nous sommes pas parlé pendant 6 mois. Cela m’a beaucoup blessé car j’avais une profonde amitié avec Philou.

Le vrai bilan entre nous ne s’est fait qu’en 2011, 3 ans après, alors que nous courrions ensemble à nouveau en K2 pour les mondiaux de Szeged.

 

Une fin de Jeux olympiques fabuleuse…

J’ai quand même bien apprécié la fin de ces JO de Pékin grâce à deux évènements.

Tout d’abord, la médaille de bronze du K2 dame avec Anne-Laure et Marie m’a énormément ému. Quelques mois auparavant, elles étaient au bord du clash et de la rupture. Grâce à notre aide et surtout grâce aux dirigeants de leurs deux clubs, Nevers et St Laurent, la confiance est revenue et l’intérêt commun a primé. Le K2 des filles a été sauvé par les dirigeants, là où ça coinçait avec le staff et les entraîneurs.

Autre moment unique et fabuleux de ces Jeux de Pékin : la soirée de clôture dans le grand stade, le «nid d’oiseau». Avant même l’entrée des nations nous avons chanté, j’ai échangé mon maillot avec un ami sud-africain. Pénétrer dans ce stade gigantesque a été fou, immense, magnifique de couleurs, de flashs, de feux d’artifice…

Le stade olympique lors de la cérémonie de clôture. — Photo FFCK A. Brogniart

 

L’équipe olympique lors de la cérémonie de clôture. Cyrille à côté d’Anne-Laure Viard médaillée. — Photo FFCK A. Brogniart

 

En bilan

En bilan, je peux dire deux choses essentielles pour moi et qui m’ont servi de leçon pour la suite de ma carrière :

– Quand tu performes et que tu gagnes : tout le monde est avec toi… Mais quand tu perds, on te renvoie le plus souvent la faute et peu d’entraîneurs assument avec toi.

–  Le plus important pour moi reste le partage et la communication et en priorité avec mon ou mes équipiers puis avec mon entraîneur. Un objectif à atteindre tout seul n’a pas de sens ; ce sont les notions de partage, d’émotion et de projet commun qui permettent de se surpasser.

 

Cyrille Carré (avril 2024)

Témoignage recueilli par Sylvaine Deltour

 

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