Les Jeux olympiques de Londres 2012 vus par Émilie Fer, championne olympique en kayak dame
Émilie est née en 1983. À 12 ans elle prend sa première licence de canoë-kayak au club de La Colle sur Loup (Alpes-Maritimes), club qu’elle ne quittera qu’en 2018 à la fin de sa carrière de haut niveau. En 2006, aux mondiaux de Prague, elle gagne sa première médaille internationale en kayak dame par équipe. Elle participe à deux Jeux olympiques : 2008 à Pékin où elle finit 7e et à Londres où elle gagne le titre et devient la première française championne olympique dame en canoë-kayak. Émilie obtiendra deux autres titres mondiaux en 2013 en individuel et en 2014 par équipe.
Rebondir après les JO de Pékin en 2008
Après les Jeux de Pékin où je termine 7e après avoir manqué une porte, les debriefings se sont succédés.
Entre Tony Estanguet et Sylvain Curinier, il était question de former une «team» avec quelques athlètes seulement afin de préparer au mieux les JO de Londres.
Tony a fait pression à la direction technique de la fédération pour monter ce projet particulier et inédit en France afin qu’il se sente bien et puisse performer à Londres. Finalement un petit groupe a été composé avec des athlètes déjà assez mûrs (Tony, Boris Neveu et moi-même) managé par Sylvain et entouré par un très bon technicien slalom, Patrice Estanguet, le frère de Tony, ainsi que des experts dans les différentes dimensions de la performance.
Le DTN de l’époque (Philippe Graille) n’était pas d’accord pour que j’intègre ce groupe, étant en couple avec Sylvain. Pour lui, il ne devait pas y avoir de sentiments et d’émotions entre un entraîneur et son athlète… et je n’avais pas le profil d’une vraie gagnante…
Mais en fin de compte, bien que non compétitrice dans l’âme, n’étant pas animée par le chrono et les médailles, mais aimant m’éclater sur l’eau et entre les portes, je me suis totalement révélée dans ce groupe.
Un groupe d’entraînement au fonctionnement atypique
Pour nous trois, plutôt en fin de carrière, il fallait trouver ces petits quelque chose qui avaient toute leur importance dans l’atteinte du très haut niveau.
Nous étions entourés de spécialistes en préparation mentale dont Ralph Hippolyte qui était alors enseignant en méthodologie de l’entraînement à l’INSEP. Son approche (ActionTypes®) analyse en effet l’organisation posturale et la manière de bouger des individus, principalement la part naturelle et inconsciente.
Il y avait également Richard Ouvrard comme «coach-accompagnateur».
En préparation physique, nous faisions tous les ans, six semaines de renforcement musculaire avec une machine inédite (isocinétique) de la section Paloise de rugby, accompagnés par médecin et kiné.
Nous faisions également des stages avec d’autres sportifs comme avec les gymnastes de Marseille centrés sur le gainage.
Le rôle très important de Sylvain Curinier dans nos performances
Sylvain a beaucoup d’intuition et sait chercher ailleurs pour trouver les meilleurs entraîneurs et les meilleurs intervenants. Sa formation initiale s’est enrichie notamment lors du master à l’INSEP qui lui a permis de faire de nombreuses rencontres et de trouver des voies de préparation dans de nombreux domaines.
Moi, comme Tony, avions beaucoup de confiance dans ce que Sylvain nous proposait.
Nous étions à contre-courant de ce qui se faisait dans ces années-là, notamment en musculation. Nous nous centrions moins sur la force pure et plus sur le gainage profond et sur du travail avec élastique.
Nous voulions être les meilleurs mais très tournés vers nous, pas dans un groupe traditionnel, sans comparaison et sans jugement avec les autres. En effet, l’obtention d’un seul quota par nation pour les JO compliquait les choses et notamment pour Tony, qui ne se voyait pas dans un groupe de préparation avec des jeunes. Nous attendions un travail très personnalisé. Pour moi, qui ne supporte pas la confrontation, j’avais juste en tête les compétitions internationales afin de retrouver les copines pour que…. la meilleure gagne !
Une montée en puissance de 2008 à 2012
En 2008 et en 2009, ayant des problèmes de subluxation d’épaule, j’ai opté pour une opération lourde une semaine après les championnats du monde de Seo en 2009 afin de retendre les ligaments, de mettre une butée et une sangle pour consolider l’ensemble.
Une véritable épreuve qui m’a rendue forte avec 3 mois d’arrêt et une reprise très progressive en février en Australie.
Les bons résultats aux piges d’avril 2010 m’ont permis de me sélectionner aux mondiaux de Tacen et de faire 5e en équipe avec Nouria Newman et Carole Bouzidi.
En 2011 également, je réalise une très bonne saison avec une quatrième place individuelle aux mondiaux de Bratislava malgré 2 touches. Je suis toujours très encouragée par Sylvain qui me dit « C’est bien ; tu n’es pas loin. »
Sans prétention, l’année des Jeux de Londres j’étais prête, j’allais vite, je me sentais dans les meilleures et en confiance avec une bonne connaissance de moi-même.
Mes courses aux Jeux de Londres
Lors des courses des Jeux, je fais 10e à la qualification ; le tracé ne me convenait pas trop. Le deuxième tracé me réussit plus et je termine 3e… En fait, je réalise le même parcours fait par Tony deux jours avant : 7e en qualification et 3e en demi-finale avant de gagner sa finale.
Entre ma demie et la finale, je peux raconter maintenant deux anecdotes.
Déjà, un exercice et une posture inédite de Sylvain qui me demande « d’entrer dans ma bulle, de ne plus avoir aucune émotion ». En fait cette séquence avait été préparée avec Ralph.
Ensuite, avant la finale, j’ai eu besoin de danser à fond tout en pleurant dans la tente médicale au bord du bassin sur une musique des deux sœurs australiennes DJs, les NERVO que nous étions allés voir en concert à Londres quelques semaines avant. Et sur cette musique, en dansant, je me suis vidée, je n’avais plus de poids émotionnel et j’étais bien.
Sur le tapis roulant qui me conduit au départ, j’étais froide en ayant rejeté toutes les émotions. Jessica Fox venait de réaliser une superbe performance que j’avais entendue par le speaker. Au questionnement de Sylvain sur cette performance, j’ai juste répondu « Je sais ». J’étais bien dans mon bateau, contente d’y aller. Après une belle course, j’étais satisfaite de moi et je devançais déjà Jess pour une demi-seconde. Mais deux concurrentes devaient encore passer. Maialen Chourraut, l’Espagnole, finit à une seconde derrière moi, et Natalia Pacierpnik, la Polonaise, touche au milieu de son parcours. Avant même la fin de sa course tout le monde me saute dessus : je suis championne olympique !
Juste après le titre olympique
Dès la fin des épreuves sportives et du podium, les ennuis ont commencé pour moi… Sylvain n’avait pas voulu me répondre quelques jours avant sur le protocole en cas de médaille et heureusement !
Un « chaperon » délégué par le CNOSF me prend en charge dès la descente du podium pour toute la soirée. Nous avons juste pu, avec Sylvain, savourer entre nous cette médaille en quittant le bassin olympique les derniers, après 2 longs contrôles antidopage et en pédalant sur nos vélos en traversant le parc de Lee Valley.
Un vrai marathon m’attendait dans une voiture banalisée pour aller au club France et passer d’un studio radio et TV à l’autre, encadrée par deux agents du GIGN. Un grand plaisir tout de même sur le plateau TV du journal de 20h en direct, entourée par Tony et Frank Adisson.
Je n’ai pu retrouver ma famille, que vers minuit après les séances photo, afin de partager avec eux la table réservée au club France.
Les retombées après ma médaille olympique
Après cette compétition, j’ai été un peu zombie et je suis vite rentrée en Bretagne auprès de la famille.
Quelques mois après cette médaille d’or, j’ai vécu des choses exceptionnelles comme cette invitation à participer au Rallye trophée « Roses des sables » en duo avec Aline Tornare à bord d’un buggy jaune.
Nous avons été également reçus à l’Élysée début 2013 pour la remise des médailles de la Légion d’honneur (promotion du 1er janvier 2013) où j’ai été décorée du grade de Chevalier de la Légion d’Honneur et Tony, Officier de la Légion d’Honneur.
D’autres expériences ont suivi comme la conduite sur circuit automobile, la nuit des étoiles etc. Petit clin d’œil : j’ai également été invitée à un concert des Nervo dont la musique m’avait tant vidée la tête avant la finale olympique.
Pendant 6 mois, j’ai profité de toutes les sollicitations et je n’ai repris le bateau qu’aux mois de janvier-février, étant sélectionnée sans piges pour les mondiaux de 2013 de Prague que je gagne devant Nouria Newman.
J’ai enchainé les mondiaux en 2014 et 2015 en obtenant des médailles en équipe.
Mon objectif de me sélectionner pour les JO en 2016 à Rio ne s’est pas concrétisé et je n’ai pas été mécontente d’arrêter mon aventure avec l’équipe de France.
Bilan de ma carrière et perspectives
Pour finir, je peux dire que j’ai bien vécu de mon sport pendant deux olympiades. En effet, entre 2008 et 2012 j’étais en contrat avec le Ministère de la Défense, et entre 2012 et 2016 j’ai pu continuer à faire du bateau et de la compétition sans travailler grâce à de gros sponsors comme ONET, Coca, VNF…
Cependant, porter le titre et la réputation de championne olympique est parfois difficile quand on veut vivre incognito et faire le métier que l’on voudrait choisir.
Actuellement, je suis accompagnatrice et coach de vie grâce aux formations que j’ai suivies avec les personnes qui m’ont elles-mêmes accompagnée en tant qu’athlète.
Maman sur le tard de deux petits enfants Morgan et Cléo nés en 2021 et 2023, j’aspire maintenant à vivre pour eux et pour nous.
Je serai cependant bien présente aux JO de Paris en tant que consultante kayak slalom pour France TV et me forme actuellement aux nouvelles règles du kayak cross !
Émilie Fer (février 2024)
Témoignage recueilli par Sylvaine Deltour
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