Les JO de Mexico 1968 vus par Bernard Bouffinier
Bernard Bouffinier est né à Crosne (Essonne) en janvier 1943. Il a commencé le kayak en classe de seconde au Lycée Marcelin Berthelot de Saint-Maur-des-Fossés. Les séances étaient encadrées par Georges Turlier. Il a adoré cette activité ; c’était mieux que les séances de plein-air au stade Pershing (Vincennes) à taper dans des ballons de foot. Voyant qu’il avait quelques dispositions pour le kayak, George Turlier lui a demandé d’adhérer au Canoë-Kayak de Paris (CKP), il avait 17 ans, il y a retrouvé Conte, David, Billet. Sans oublier Derivery, avec qui il a fait presque tous les jours 10 km en kayak. « Au début il me larguait rapidement, puis j’ai appris ce qu’était une prise de vague mais sa vague n’était pas très grosse – il n’avait pas le gabarit de Philippe Boccara (double-mètre). J’arrivais toutefois à le suivre de plus en plus longtemps. » La Société Nautique du Tour de Marne (SNTM), située à côté du CKP, avait de très bons kayakistes : Jean-Claude Houde, Jean-Claude Friquet, Michel Meyer, Marcel Renaud, Louis Gantois, Gérard Charpentier, Daniel Goubard. Bernard Bouffinier a partagé leurs séances d’entraînement en K1 et en K2 avec différents équipiers.
Chaque matin je m’entraînais avec Louis (Loulou) Gantois (multi médaillé mondial et olympique). Je naviguais plusieurs fois par jour. En 1961, j’adhère à la SNTM et deviens champion de France junior en K2 500 m avec Daniel Goubard. En 1962, champion de France en K1 500. Puis, en équipe de France en régate à Essen, j’ai fait un essai en K2 500 avec Jean-Pierre Cordebois, sous la pluie. En 1963, j’ai pu intégrer l’équipe de France en K4. Le stage terminal de Louviers restera dans nos mémoires avec ses séances fractionnées de portages (imposés par le site) puis le voyage par la route passant par la Belgique, l’Allemagne, l’Autriche et la Yougoslavie (Jajce). Un mois complet sans entraîneur…
1964 arrive, pas de K4 engagé aux Jeux, pas le niveau ; ce sera juste un C2. Pour moi, préparation au professorat d’EPS et fractures des poignets et de la cheville… Finalement, seulement 4e en K1 aux championnats de France à Vichy. 1965, Jacky Conte, également membre du CKP, n’a plus d’équipier de C2 (David arrête), j’en profite pour tenter le C2 avec Jacky sans avoir vraiment fait de C1… Nous nous entraînons sur la Marne pour le bateau et avec Georges Dransart chaque soir à l’INS pour le reste (gymnastique, athlétisme, musculation, natation). Côté suivi médical, le plateau technique de l’INS avec le docteur Andrivet et celui de la Pitié-Salpêtrière. Nous ramenons quelques titres de champions de France sur 1 000 m et 10 000 m. Enfin, nous participons à des régates internationales (1965 et 66) jusqu’aux championnats du monde de Berlin.
Je ne commence vraiment le C1 qu’en 1966. Dès 1967, je me classe deuxième Français derrière Jean-François Millot. C’est là que Georges Dransart décider de constituer un nouvel équipage Millot-Bouffinier et s’occupera de nous en vue des Jeux. Cette année-là, Jean-François Millot est nommé entraîneur au Bataillon de Joinville (BJ) ; ce qui nous permet de nous entraîner ensemble puisque j’avais rejoint le BJ en juillet 1967 plutôt qu’en novembre (à cause des compétitions estivales à ne pas manquer). Du sport à plein temps. J’en profite pour rencontrer le docteur Vrillac médecin colonel du BJ à l’époque et futur président de la SNTM et bien d’autres titres.
SOUVENIRS, SOUVENIRS… des Jeux de Mexico 1968
En résumé, 1968 sera une année agitée sur le plan politique : Prague, Paris, révolte étudiante mortelle place des trois cultures à Mexico à une semaine des Jeux, et j’en passe… Mais pour moi, des Jeux olympiques parfaitement réussis avec des souvenirs impérissables de ce mois d’octobre au Mexique. Juste avant, un dernier stage en altitude à Font-Romeu en compagnie de l’équipe roumaine de canoë… Et oui, nous étions avec les futurs champions olympiques, le C2 Patzaichin-Covaliov.
Le voyage vers le Mexique
Nous avons décollé de l’altiport de Saillagouse via Paris puis le Mexique : avions spéciaux pour tous les participants français, menu spécial JO… Quinze heures de traversée, passage au-dessus des icebergs au nord de l’atlantique ; escale à Boston.
La Première semaine
Accueil au village olympique, creusé au sein de la lave. Immeubles sympathiques, foyer international, trois restaurants avec des nourritures différentes, stade et piscine d’entraînement. Nous sommes logés avec l’équipe masculine de gymnastique. Cérémonie d’accueil de l’équipe de France, nous sommes tout beau en pantalon blanc à rayures bleues et blazer bleu. L’entraînement sur le joli bassin de Xochimilco à une demi-heure de car, trajet traversant les bidonvilles aux façades repeintes de couleurs vives coté route.
Une séance chaque matin, dur-dur, après la fraîcheur montagnarde de septembre, le soleil tape fort et la récupération se fait plutôt mal. Nous sommes passés de la méthode d’entraînement tchèque qui nous convenait bien à celle des Hongrois : notre entraîneur Georges Dransart trouvait que le K4 hongrois allait plus vite… Étonnant, après un stage terminal avec les Roumains…
Côté visites, Jean-François et moi sympathisons avec deux hôtesses chargées du protocole ; c’est en Ford Mustang que nous avons parcouru Mexico-City et ses environs. Sur le plan culturel, chaque jour vers 17 heures, nous pouvions assister à des spectacles présentés par des nations participantes. Beaucoup de choses à voir en ville : la place des Trois cultures, la place de la Constitution, le Musée d’anthropologie particulièrement intéressant, et quelques pyramides impressionnantes çà et là.
La cérémonie d’ouverture
Une foule immense dans le stade olympique, le défilé, l’ouverture, le lâché de pigeons, que d’émotion !
Première semaine des Jeux
Moins bien côté entraînement, le bassin étant réservé aux compétitions d’aviron. Heureusement, nous pouvions aller au stade olympique suivre les épreuves d’athlétisme, de gymnastique, etc… Notre accréditation nous permettait d’accéder à toutes les épreuves et toutes les cérémonies.
Deuxième semaine
Enfin les épreuves de canoë-kayak. Après une 5e place en série à 1,7 secondes de la qualification directe en finale, dépassés par le C2 allemand et par d’étonnants Mexicains pour la 3e place, nous voilà relégués en demi-finales (repêchage). Deux jours plus tard, nous ne terminerons que 4e à 6 petits dixièmes de la qualification en finale … Plus ça allait, moins ça allait ! Nous espérions beaucoup mieux.
Troisième semaine
Nous sommes invités à un voyage touristique avec un choix de 3 destinations : je choisi Mérida au Yucatan avec visite des pyramides : Uxmal, Dzibilchaltun, Kabah, Progresso, Merida et la superbe Chichen Itza.
Début novembre, retour à Paris et démobilisation après 16 mois d’armée au Bataillon de Joinville qui, au printemps 1968, s’était installé à Fontainebleau puis reprise du travail en milieu scolaire.
Après les JO de Mexico
Championnats d’Europe à Moscou en 1969, nous ne sommes que trois. Jean Boudehen notre nouvel entraîneur, Jean-François Millot et moi, une interprète dans un car de 54 places. Courses de C1 et C2 par temps hivernal au mois d’août. Très fort vent latéral, un 1 000 m tout en appel pour ce qui me concerne, ce ne fut pas de la tarte. L’abri provoqué par les tribunes avant l’arrivée déterminera le classement. Les plus protégés d’abord puis les autres. Cette année-là, je suis champion de France.
Anecdote en 1969. Au championnat du monde militaire à Ostende, nous sauvons un équipage de commando anglais en détresse. Incroyable, ils ne savaient pas nager. Ce n’est qu’au bout d’un moment que nous nous sommes aperçus que nous étions toujours au même endroit en pleine mer. Course annulée à cause de conditions extrêmes. Retour et félicitations de l’armée belge organisatrice puis française pour notre «héroïsme».
De 1970 à 1974, mon travail de professeur EPS m’accapare. J’ai moins de temps à consacrer à l’entraînement. J’arrête donc progressivement l’équipe de France et me concentre sur les courses estivales en Espagne, une course tous les deux jours, avec succès.
Anecdote en 1973. Je me fais battre régulièrement par Hervé Brosse en C1 1 000 m. Hervé, comme son frère jumeau Joël, est l’un de mes élèves de Maisons-Alfort. Avec Hervé Brosse en C2 nous terminons 4e aux championnats de France, c’était la première fois que nous montions ensemble.
Voilà quelques souvenirs de cette époque qui n’avait rien de comparable avec aujourd’hui. Beaucoup d’amateurisme, de place laissée au hasard. Un entraîneur présent de temps en temps. C’était surtout au contact des meilleurs que nous progressions : en bateau avec les membres du club, hors-bateau avec l’entraîneur fédéral, Georges Dransart. La domination des pays de l’Est adeptes du dopage et très disponibles pouvaient absorber trois fois plus d’entraînement que nous. À cette époque, comment rivaliser avec les Roumains, les Hongrois, les Russes et les autres capables d’aligner plusieurs bateaux en finale de leurs épreuves internationales ?
À mon âge avancé, même si je ne pagaie plus par tous les temps , je randonne encore régulièrement en mer à la pointe du Finistère. On s’y croisera peut-être par beau temps…
Bernard Bouffinier (janvier 2024)
Témoignage recueilli par Jean-Paul Cézard (janvier 2024)
Les témoignages n’engagent que leurs auteurs