Les JO de Mexico 1968 vus par Albert Mayer

Albert Mayer jeune international. — Extrait brochure 2012 les alsaciens aux JO.

Albert Mayer est né le 6 avril 1943 à Mulhouse (Alsace). Il a exercé le métier de chef de chantier.
Son club de toujours : Association Sportives des Cheminots de Mulhouse-Riedisheim. À 9 ans, il commence la gymnastique. Plus tard, il participera aux championnats de France. Il sera sacré vice-champion d’Alsace en cadet. Il pratiquera également l’athlétisme en club : cross et lancers.

En kayak au niveau national, pas de longue liste mais de 1961 à 1975, il sera sacré 20 fois champion de France en monoplace et équipage. Accessoirement, il remportera une trentaine de titres de champion d’Alsace.

 

 

PALMARÈS INTERNATIONAL

Sélections en équipe de France junior et senior
1962 : championnats du monde junior à Essen (Allemagne), meilleur junior français.
1963 : championnats du monde senior à Jajce (Yougoslavie).
1965 : championnats d’Europe senior à Snagov (Roumanie).
1966 : championnats du monde senior à Berlin (Allemagne).
1967 : championnats d’Europe senior à Duisbourg (Allemagne).
1968 : en K4H 1 000 m aux Jeux olympiques à Mexico (Mexique) avec Jean Boudehen, Jean-Pierre Cordebois et Claude Picard.

Participations aux championnats d’Allemagne

1964 : K2 500 et 1 000 m
1965 : K2 1 000 m
1967 : K1 500 et 1 000 m

A. Mayer raconte. — Extrait journal L’Alsace

 

LA SÉLECTION POUR LES JO

Tout a commencé en 1962, lorsque je participe à mes seconds championnats de France à Mûr-de-Bretagne (Côtes-d’Armor).  J’étais junior. Malgré une pagaie cassée au départ et d’autres déboires comme rater une bouée de virage lors du 10 000 m, je réussis à faire un bon résultat et à décrocher une place en équipe de France pour participer aux championnats du monde junior à Essen (Allemagne).

C’était bien après les JO de Rome. Les athlètes qui avaient représenté la France en course en ligne étaient présents. Ils avaient tous été équipés aux couleurs de la France sauf nous quatre en attente (Jean Boudehen, Jean-Pierre Cordebois, Claude Picard et moi-même). On ne logeait pas à l’hôtel comme les autres, mais on campait au bord du bassin. Moi, je me suis aligné pour le K1 sur un plan d’eau complètement démonté. Un K2 expérimenté était déjà pressenti pour concourir à l’international (Boudehen-Cordebois) mais la fédération voulait que je m’aligne également en K2 pour voir…

N’ayant pas de coéquipier attitré, elle convoqua tôt le matin l’ensemble des kayakistes présents pour une course-test en K1 expliquant : « Celui qui gagnera ce test intégrera le K2 avec Albert ». Ce fut Claude Picard de Louviers. Finalement, ce nouveau K2 (Picard-Mayer) gagnera la course de K2 devant l’autre équipage français pressenti. Ce résultat entraînera la formation d’un K4 composé à partir des deux biplaces en vue des JO de Mexico. Bertrand Legoupil de Louviers sera le 5e homme (remplaçant) du K4 mais il ne sera pas du voyage à Mexico.

L’équipe de Mexico avec B. Legoupil remplaçant K4 avant les Jeux. — Coll. A. Mayer

Ensemble, on a fait plusieurs déplacements à l’étranger et on a participé à des compétitions internationales. On se retrouvait régulièrement sur les week-ends, à l’Institut national du sport (INS) à Paris, pour s’entraîner ensemble malgré nos semaines professionnelles chargées. Déplacements et autres stages étaient pris sur nos vacances.

 

LA PRÉPARATION DES JO

Pour préparer les JO, nous avions 2 sites pour effectuer des stages : Mûr-de-Bretagne et Font-Romeu (Pyrénées-Orientales), en altitude pour nous adapter aux conditions de Mexico. En 1967, il n’y avait pas encore toutes les structures pour accueillir les sportifs français. Cependant, on y travaillait notre condition physique et la cohésion d’équipe. Début 1968, on a été les premiers à entrer dans les locaux neufs du lycée climatique avec les gymnastes et à bénéficier des infrastructures. Pour nous entraîner en bateau sur le lac des Bouillouses, il y avait un peu de route à faire. Non loin, il y avait un hôtel, où nous logions ensuite lors de nos différents regroupements. L’aviron s’entraînait également sur ce bassin. Un jour, on a fait une course contre les rameurs. L’endroit était incroyable.

Jean Boudehen en tenue officielle JO 68 (stage Mur-de-Bretagne). — Coll. A. Mayer

 

En ville à Font Romeu (Pyrénées, alt. 1800 m). — Coll. A. Mayer

 

Anecdotes. Un jour, mon chef d’entreprise me propose d’aller diriger une équipe à Kourou (Guyane). Je lui ai répondu : « Je ne peux pas ! Je prépare les JO ! ». Sa proposition était alléchante et il fut étonné de mon choix. Ceci dit,  l’entreprise m’a suivi et aidé en me nommant chef de chantier à Paris afin que je puisse concilier travail et préparation des Jeux à l’INS.

Avec le collectif des sélectionnés olympiques, nous étions pour la première fois tous pensionnaires de l’INS. Lors des événements de mai 1968 à Paris, l’INS étant un bâtiment public, tout a été « bunkerisé » pour des raisons de sécurité. C’était devenu très compliqué de monter en bateau et d’utiliser les infrastructures pour nous entraîner.

En début de saison compétitive internationale, nous étions allés à Prague pour courir. C’était en pleine période « d’émancipation » de la Tchécoslovaquie, juste avant l’invasion du pays par les troupes du pacte de Varsovie. C’était encore plus « chaud » qu’à Paris. Ensuite à Mexico, nous sommes arrivés en pleine révolution étudiante… Bref, la préparation a été effectuée du mieux possible mais sûrement pas de manière optimale.

 

LE VOYAGE

Dernier stage à Font-Romeu avant le voyage vers Mexico (Mexique). Un avion militaire nous a acheminé jusqu’à Toulouse. De là, direction le Mexique avec un accueil par les mariachis à l’aéroport ultra moderne construit spécialement pour les Jeux. Puis, au rythme de la musique traditionnelle mexicaine, nous rejoignons nos logements en bus.

 

LES ULTIMES PRÉPARATIFS AU MEXIQUE

Le bassin, nous le connaissions déjà, puisque nous étions venus l’année d’avant pour les épreuves préolympiques. En 1967, c’était tout boueux et nous avons vu l’évolution de la construction du bassin pour nous accueillir convenablement l’année d’après.

Bassin olympique et course d’aviron aux JO Mexico 68. — Coll. A. Mayer

Les compétitions d’aviron se sont déroulées avant nous. En soi, le bassin n’était pas spécialement dur.
C’était plus difficile côté condition physique en raison de l’altitude et de la chaleur ambiante. J’ai vu des rameurs tellement mal en point à l’arrivée qu’il a fallu leur mettre des masques à oxygène pour qu’ils récupèrent. Moi-même, à un moment donné, je me suis senti diminué malgré la préparation en altitude.

 

LA CÉRÉMONIE D’OUVERTURE DES JO

Quelques données sur la situation. Ce sont les premiers Jeux dans un pays d’Amérique latine et en altitude, à 2 240 mètres. 113 nations étaient présentes dans le magnifique stade olympique de 100 000 places. Mais c’est aussi le massacre de la « Place des Trois Cultures » dix jours avant l’ouverture. Les déplacements en ville seront compliqués du fait des règles et des forces de sécurité. Malgré cela, le président de la République, M. Gustavo Diaz Ordaz, proclamera l’ouverture des Jeux. Le serment olympique fut récité par un athlète mexicain et, pour la première fois, une femme, Norma Enriqueta Basilio de Sotelo, alluma la flamme.

Avant l’ouverture des Jeux et avant de pénétrer dans le stade, l’attente, sous la chaleur, parut interminable. Ensuite, dans le stade, ce fut énorme ! Il y avait un monde fou et un brouhaha continu. Mais quel contraste : nous étions arrivés à Mexico en pleine révolution étudiante. Pendant l’ouverture des Jeux, je n’oublierai jamais le lâcher de colombes blanches, emblème de la paix, au milieu d’hommes armés jusqu’aux dents !

 

LE DÉROULEMENT DES COURSES

Les compétitions se sont déroulées sur le canal de Cuemanco à Xochimilco.

J’étais donc en K4 en numéro 1 avec derrière moi Jean Boudehen, Jean-Pierre Cordebois puis Claude Picard. Près de 55 ans après, ma mémoire ne me permet plus de décrire nos courses.

22 octobre, éliminatoire : nous terminons quatrièmes derrière la Roumanie, la Norvège et la Finlande. Roumanie et Norvège domineront la finale, la Finlande terminera troisième. Belle entrée en matière.

23 octobre, repêchage : cette fois nous terminons seconds et on se qualifie pour la suite.

24 octobre : demi-finale : notre équipage n’arrivera que quatrième, derrière la Norvège qui gagnera la finale, l’Autriche et la Pologne. C’est la fin de l’aventure pour nous.

En finale, c’est un équipage norvégien inattendu composé pour l’occasion d’un très bon K2 et d’individualités (il n’avait jamais gagné de médaille ni mondiale ni olympique) qui coiffera sur le fil la Roumanie et la Hongrie qui étaient les favoris. À cette époque, les championnats du monde (CM) étaient aussi rares que les Jeux. On ne connaissait pas très bien la concurrence. La fédération internationale (ICF) décidera en 1968 de supprimer les championnats d’Europe et d’instaurer un CM annuel hors année olympique à partir de 1970.

Des regrets. Avant les compétitions, j’aurais aimé faire une reconnaissance du bassin. Mais, l’entraîneur a préféré nous préserver compte tenu des conditions (altitude et météo). De gros regrets a posteriori pour nous, car ça s’est joué à rien. De plus, personnellement, j’étais malade. On espérait vraiment participer à la finale et on rêvait même de ramener une médaille à la maison d’autant qu’on avait battu la plupart de nos concurrents 3 mois auparavant…

 

IMPRESSIONS ET SOUVENIRS PERSONNELS MARQUANTS

J’ai bien aimé l’ambiance olympique. Après quelques excursions touristiques notamment à Acapulco où l’eau était à 28°C, la dure réalité de la vie professionnelle en France a repris ses droits. De retour au bercail, c’est par moins 2°C que je montais des candélabres sur le pont de l’Île Napoléon à Mulhouse.

 

Cela dit, voici les événements hypermédiatisés qui me restent en mémoire :

– J’ai apprécié le geste symbolique contre la ségrégation raciale des sprinters noirs américains Tommie Smith et John Carlos sur le podium, lors de la remise des médailles.

– J’ai été impressionné par le bond fabuleux du sauteur en longueur américain Bob Beamon réalisant 8,90 m au premier essai.

– J’ai vu de mes propres yeux le saut en hauteur dorsal inédit de l’américain Dick Fosbury.

 

MA CONCLUSION

Ces Jeux ont été à l’image de la préparation… une vraie révolution dans le sens où le contexte était explosif de partout.

Ma fierté de grand-père engagé pour mon club, ma région et la fédération, est d’avoir vu mon fils Sébastien en 1992 puis sa fille Joanne en 2012 participer aux JO chacun à leur tour et en K4.

Les Mayer, une famille d’olympiens. — Extrait journal L’Alsace

 

Albert Mayer (mars 2024)

Témoignage recueilli par Edith Alberts et Jean-Paul Cézard

 

Les témoignages n’engagent que leurs auteurs

 

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