Les JO de Tokyo 2020 vus par Adrien Bart

Selfie, Adrien devant le bâtiment des Français au village olympique de Tokyo. — Coll. A. Bart

 Adrien est né en septembre 1991 à Orléans (Loiret). Son club de toujours est l’Association Sports et Loisirs de  Saint-Laurent-Blangy (Pas-de-Calais). Il a déjà deux olympiades au compteur et il prépare activement les Jeux de Paris puisqu’il dispose d’un quota qualificatif depuis les mondiaux de 2023. Ses deux participations olympiques en canoë monoplace sur 1 000 m se sont soldées par une seconde place en finale B à Rio et une quatrième place à Tokyo. En forte progression, il courra à Paris cet été 2024 avec beaucoup d’ambition…

Mieux connaître mon parcours.

C’est Bertrand Fauquet, champion du monde de C1 marathon, qui s’occupait des jeunes au club. J’ai directement commencé par le canoë à l’âge de 13 ans, en 2005 avec ma première licence. Il m’a mis dans un bateau avec stabilisateur. Avant de naviguer, j’ai beaucoup nagé. J’avais commencé par la natation vers 11 ans, nager ne me gênait pas trop. Après un stage d’été au club de Saint-Laurent, je me suis orienté vers la compétition en course en ligne, c’est la discipline principale de ce club au riche palmarès.

 

Rio fut ma première expérience olympique

Après mes premières années sénior en C2 avec Romain et Mathieu Beugnet du club de Saint-Laurent Blangy comme moi. Nous échouons avec Mathieu aux sélections en C2 avant les championnats du monde de Milan en 2015. Je choisi avec Nicolas Maillotte, mon entraîneur de l’époque, de recentrer ma préparation sur le monoplace. Ce fut avec succès puisque je remporte les sélections nationales à Mantes juste devant mon mentor et ami Mathieu Goubel.

Adrien en course à Rio. — Coll. A. Bart

À Rio, pour mes premiers JO, je découvre l’ambiance particulière des Jeux, le stress, les risques de distraction, de déconcentration. Pourtant, le site est « magique », la lagune en ville entourée de collines et proche de l’océan…

Pour ma seule course, le C1H 1 000 m, je relâche en série constatant à mi-course que je ne pouvais passer  directement. En demi-finale, cinquième à l’arrivée, je reste sur ma faim et ne me qualifie que pour la finale B, j’espérais mieux mais il aurait fallu que je gagne 5 secondes pour accéder à la finale A.

En finale B, dès le lendemain, j’ai eu à cœur de bien faire. Après un départ devant, le Polonais vainqueur me passe juste avant la mi-course. Je resterais second jusqu’à la ligne laissant le troisième à trois secondes. Le céiste moldave Tarnovski, sera disqualifié pour dopage, ce qui me fera gagner une place au classement. Deuxième de la finale B mais 9e au global.

J’ai profité de chaque instant de la préparation olympique durant laquelle j’ai senti que tout le travail effectué durant quatre ans commençait à produire ses effets. Les sensations en bateau étaient incroyables. Aux Jeux, je ne suis pas parvenu à élever suffisamment mon niveau en demi-finale pour accéder à la grande finale. Mais second de la finale B, c’était enfin une course à mon niveau où j’ai pris énormément de plaisir à concrétiser mon rêve olympique. Je pense avoir réalisé de belles courses tout en progression.

L’amour du bateau mérite un câlin. — Coll. A. Bart

 

La préparation pluriannuelle des JO de Tokyo 2020.

Après Rio je choisi de me renouveler, cela passait par un changement de coach d’abord. Après 4 années avec Nicolas Maillotte, je choisis de commencer à travailler avec Philippe Colin. Non pas par insatisfaction, Nicolas m’avait élevé à un niveau que je n’aurai jamais imaginé auparavant. Plutôt par besoin de renouveau, pour changer de méthode d’entraînement et être toujours dans la progression, stresser différemment mon organisme pour le stimuler et surcompenser.

De même, je choisis de changer de bateau et de pagaie. Je choisi le même matériel que le champion olympique allemand Sebastian Brendel. Je me suis dit : « si je n’arrive pas à être bon, ce ne sera pas la faute du matériel, ce sera ma capacité à m’y adapter qui sera en cause. »

J’ai progressé pendant cette olympiade, terminant aux championnats du monde : 8e en C1 et C2 en 2017 puis 6e en C1 et C2 en 2018.

En 2019, j’ai essayé un nouveau bateau, le Project Y de Plastex. Avec ce modèle, je suis parvenu à régler quelques imperfections au niveau de la glisse pour atteindre de meilleures vitesses de déplacement.

Associé à Philippe Colin (apport du travail en hypoxie et variation des volumes d’entraînement à basse et haute intensité notamment), ainsi qu’avec l’aide de personnes-ressources tels que Mathieu Goubel, William Tchamba, et l’entraîneur national Anthony Soyez, la progression s’est encore accélérée.

En 2019, je remporte la manche du coupe du monde de Duisburg en C1 et termine 3e en C2.

Aux championnats du monde 2019, je remporte ma première médaille en terminant 3e après une finale très serrée. Cette 3e place ouvrira le quota du C1 1 000 m pour la France aux JO de Tokyo 2020. Pour le C2, nous aurons moins de réussite en terminant premiers de la finale B (9es) avec comme sanction une nouvelle non-sélection en biplace (comme lors des précédents JO de Rio).

Championnat du monde à Szeged, course de C2. — Coll. A. Bart
Championnat du monde à Szeged, course de C1 aboutie. — Coll. A. Bart
Championnat du monde à Szeged, une médaille de bronze en C1. — Coll. A. Bart

2020 était supposée être « mon  année ». Malheureusement, Covid oblige, les Jeux furent décalés d’un an. Peu importe, l’hypothèse d’une nouvelle date se profilait en 2021 où je devais donner le meilleur de moi-même ; c’est tout ce qu’il me fallait. Cette année-là, Covid oblige, j’ai terminé à la 3e place en C1 de la seule manche de coupe du monde maintenue. C’était un bon présage.

Matériel, le C1 Project Y de Plastex. — Coll. A. Bart

Le choix du matériel se confirme pour Tokyo. J’utiliserai le C1 Project Y et la pagaie Gpower Bionic pour la course la plus importante de ma carrière.

 

Avant les JO de Tokyo 2020

La préparation en dernière année d’olympiade fut très bien ficelée. Avec trois stages en hypoxie à Font-Romeu et Prémanon en alternance avec des stages à Séville et au Grau-du-Roi, l’hiver fut bien chargé.

La forme olympique est venue petit à petit. J’ai évité toutes les perturbations autour de moi pour rester centré, focus sur l’objectif.

 

La préparation « hivernale ».

Stage à Font-Romeu et sortie vélo au lac des Bouillouses. — Coll. A. Bart
Stage ski de fond à Prémanon. — Coll. A. Bart
Stage à Séville avec Loïc Léonard et Frantz Vasseur. — Coll. A. Bart

Un dernier stage en hypoxie à Prémanon en avril accompagné de partenaires d’entraînement tels que mon ami américain Ian Ross avec lequel j’ai partagé quelques stages en Floride les années précédentes. D’autres pagayeurs français sont venus me tenir compagnie, Loïc et Frantz notamment qui préparaient les rattrapages.

Mathieu Goubel était également de la partie dans le staff. Nous avons rencontré des conditions très compliquées durant ce stage tardif et avons choisi de ne pas le reconduire les saisons suivantes.

Dernier stage à Prémanon avec Loïc, Frantz, Clément et Mathieu. — Coll. A. Bart

 

Côté compétition

La coupe du monde de Szeged fut riche en émotions avec les rattrapages olympiques qui eurent lieu juste avant. Quelques imbroglios ont peut-être émoussé notre mental et notre état d’esprit les jours de course et nous ne terminons que 7es de la finale B en C2. De mon côté, en C1, je me classe 7e de la finale A.

Aux championnats d’Europe de Poznan (POL), je termine 6e sur le 1 000 et 7e sur le 500.

Puis débute la préparation terminale, un premier stage au Temple-sur-Lot juste après les championnats d’Europe. Ce fut l’occasion de refaire le plein de kilomètres avant l’affûtage et de travailler la « zenitude » (bien adaptée pour le Japon).

Avant de partir au Japon je fais le plein de bonnes énergies lors d’une cérémonie organisée par l’ASL canoë- kayak grand Arras, en l’honneur de mon départ pour les JO.

 

Enfin le stage terminal à Komatsu au Japon

Nous sommes accueillis à Komatsu, centre d’entraînement national, son lac et les canaux qui y mènent seront le lieu des derniers réglages. Le tout avec un suivi médical et virologique quotidien. Les tests PCR, les masques et l’isolement sont nos compagnons de route. Ce sont autant de contraintes auxquelles nous faisons face. Mais nous sommes prêts à tout pour pouvoir courir ces JO.

Vue nocturne sur la ville donnent un aperçu du site olympique. — Coll. A. Bart

Après trois semaines d’affutage vient enfin le temps de voyager jusqu’aux sites olympiques de Tokyo. La découverte du village olympique, ses alentours et l’ambiance « magique » qui y règne sont toujours un moment particulier d’autant plus qu’à la différence de Rio, l’ambiance est marquée par « la distanciation sociale ». Les vitres qui séparent chaque athlète à la cantine gâchent un peu la fête…

La traditionnelle photo devant les anneaux olympiques dans le village. — Coll. A. Bart

 

Anecdotique mais réconfortant

En période de Covid, nous étions cloisonnés entre l’hôtel (entièrement réservé pour nous) et le bassin (sur des horaires très précis) pour éviter tout contact avec la population et ainsi limiter la propagation de l’épidémie. On avait senti une réelle déception chez nos hôtes de ne pas pouvoir nous faire découvrir les particularités de leur environnement…

Je me souviens d’une belle fin de journée à Komatsu. Après nos entraînements, comme d’habitude nous rentrons en bus à l’hôtel avec un chauffeur, toujours enjoué de nous revoir. Cette fois-là, il nous propose un petit détour… Ce n’était pas au programme et pas tout-à-fait réglementaire. C’est ainsi qu’après 15 minutes de route, nous rejoignons un parking face à la Mer du Japon pour admirer tous ensemble un coucher de soleil somptueux. Une surprise et une belle parenthèse dans notre préparation olympique offerte par ce chauffeur si attentionné.

 

Enfin les courses, ma course !

Ma série du C1H 1 000 m se déroule bien, je file directement en demi-finale sans passer par la case quart-de-finale. Les repères sont bons, l’énergie et la technique sont au point. Le surlendemain c’est le grand jour, celui de la demi-finale et de la finale. Première épreuve, la demi-finale, étape où je n’avais pas su élever mon niveau à Rio. Les médailles se jouent en finale et sans l’accès à celle-ci, c’est la fin du rêve alors je commence par un départ très offensif. Avant le finish, je me vois en tête, j’essaie donc de ralentir pour jouer le meilleur couloir en finale. J’observe aussi que quatre concurrents remontent très vite me contraignant à maintenir mon effort pour assurer ma place. Dommage ! Enfin qualifié pour une finale olympique, je suis exactement là où je veux être.

Tokyo 2020, série du C1 1 000 m. — Photo ICF
Tokyo 2020, demi-finales du C1 1 000 m. — Photo ICF

Le temps de récupération est très court : 1h30 entre la demi et la finale. S’hydrater, se détendre, un petit massage, une banane et c’est parti pour la course la plus importante de ma vie… J’ai tout tenté, partir vite maintenir l’allure, relancer. Je pense avoir donné 110% de ce que je pouvais. Je n’ai aucun regret sur la course. Elle se situe au-delà de mes espérances. Peut-être un regret quand même… Ce jour-là, trois athlètes ont été plus rapides que moi. J’échoue à un dixième du podium. Triste mais pas déçu, j’ai tout donné pendant cinq ans pour être au rendez-vous. Je l’ai été sans faute.

 

Adrien Bart (mars 2024)

Témoignage recueilli par Jean-Paul Cézard

 

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