Les JO de Tokyo 2020 vus par Étienne Hubert
Je suis né en janvier 1988 à Sedan. Mon club de toujours est le CKPS (Canoë Kayak du Pays Sedanais). J’ai commencé le kayak très jeune avec des parents passionnés de canoë-kayak « rando-aventure ». J’ai gardé ce côté aventurier et je pratique les sports de pleine nature mais j’aime aussi la compétition. Mes parents m’ont posé au fond d’un kayak, j’avais 3 ans… J’ai surtout navigué avec eux en rivière à partir de 5-6 ans. J’ai fait beaucoup d’eau vive et je continue. Mais à Sedan, il y a un beau lac et, dès 12 ans, je me suis mis à la course en ligne. A 16 ans, j’ai intégré le collectif junior de course en ligne et j’ai participé au championnat d’Europe, puis en U23 je deviens vice-champion en 2008 en K1 1 000 m. Je suis aussi passé par le pôle Espoir de Lille. J’ai réussi un moment à associer descente, course en ligne et marathon mais ce n’était pas tenable pour le haut niveau.
Suite de mon parcours
En 2007, dès ma première année en seniors, je participe aux championnats du monde de course en ligne. En 2008, à 20 ans, je bataillais avec les meilleurs Français sans me sélectionner aux JO de Pékin. C’est après que tout commence vraiment en équipe de France, en 2009 en K2 et en 2010 en K4 où avec Hybois, Jouve et Colin, on devient champions du monde sur 1 000 m. Malgré cela, nous échoueront en 2011 pour la qualification aux JO de Londres.
L’affaire du K4 pour Londres. À la suite du titre mondial de 2010 gagné haut la main, l’équipage a été remanié. Cela a créé des tensions. Inconsciemment, notre mental a dû être impacté. En 2011, je pense qu’on n’a pas su s’adapter à ces changements et pas su résister à la pression d’être parmi les favoris. C’était pourtant l’année des qualifications olympiques ! En 2012, il restait à se qualifier en K1 ou en K2 lors des rattrapages continentaux ; ce que je n’ai pas réussi à faire. Ne pas aller aux Jeux de Londres a été une grosse déception.
Londres, c’est aussi l’arrivée du 200 m aux Jeux. On connaissait déjà cette distance depuis des années. Moi, je me sens limité en termes d’explosivité et je préfère les efforts plus longs en bateau comme en musculation. Ce type d’effort me permet de mieux m’exprimer techniquement. Il faut faire des kilomètres en bateau pour trouver la glisse efficace ; cela n’arrive pas du jour au lendemain. À chaque cycle de pagayage, il faut créer un excellent appui dans l’eau et transmettre son énergie de manière contrôlée au bateau. Ce bon rendement objectivé par des mesures (chrono, pouls, cadence, watts…) se gère aussi par nos sensations. Quand on s’arrête longtemps ou qu’on change de matériel ou d’équipage, il convient de retrouver ses meilleures sensations ; cela peut prendre du temps. Notre entraînement est également conditionné par nos seuils aérobie et anaérobie individuels que l’on mesure régulièrement sur ergomètre à pagayer. Quant à l’ergomètre pour l’entraînement, je n’aime vraiment pas. Le kayak, c’est le grand air, la glisse sur l’eau et la nature…
Bref, pour les Jeux suivants à Rio, je me suis enfin qualifié en K4 1 000 m avec Cyrille Carré, Arnaud Hybois et Sébastien Jouve ainsi qu’en K2 1 000 m avec Arnaud Hybois. La relative satisfaction est surtout venue du K4 1 000 m avec enfin une finale olympique pour moi. On joue le podium pendant une bonne partie de la course mais notre finish sera insuffisant. Il nous a manqué une bonne seconde pour la médaille. Mis à part le podium et surtout les vainqueurs allemands, les places se sont jouées à coups de centièmes. Très impressionnant pour une première !
Venons-en aux Jeux de Tokyo en 2021
Ce fut une grande aventure au pays du soleil levant ! Des aventures, j’en connais, j’en ai connu et il m’en reste encore (je l’espère) à découvrir. Une aventure collective.
D’entrée de jeu, rien ne s’est passé comme prévu. Fraîchement médaillés sur le K2 1 000 m avec mon acolyte Cyrille Carré lors des championnats du monde de 2019, nous espérions bien pouvoir nous retrouver un an après aux Jeux de Tokyo 2020 pour composer avec créativité LA COURSE qui nous faisait rêver. Malheureusement, l’épisode du COVID-19 est passé par là… À cinq mois de l’échéance, nous apprenons qu’en raison de la crise mondiale les Jeux sont repoussés d’un an.
À partir de ce moment, tout se transforme, se décompose, se remet en question. Il faut alors retrouver de l’énergie pour se remettre à l’eau. Des sélections françaises, quelques semaines avant les Jeux, ne permettent pas à mon acolyte de se qualifier. Coup de massue pour l’équipage Carré-Hubert, un duo très attendu sur les devants de la scène internationale. Un équipage redoutable qui a su, au cours des dernières courses, décrocher de nombreuses médailles et ce, avec un esprit de créativité et de spontanéité.
Par la force des choses, me voilà donc en équipe avec Guillaume Burger, venant de coiffer de très peu Cyrille Carré sur la sélection olympique. Mais, c’était la règle stricte imposée pour les piges. Un nouvel équipage naît. Nous voilà maintenant à deux mois des Jeux de Tokyo avec pour objectif de « se trouver » directement dans le bateau. Pas simple mais impératif face à l’enjeu !
L’échéance approche, nous entamons les derniers préparatifs : communiqué de presse, cérémonies, entrainements sur le lac de Vaires-sur-Marne, préparation des bagages, choix des pagaies et du petit matériel. Début juillet, nous sommes enfin prêts à partir en direction du soleil Levant.
Juillet 2021, l’équipe de France est enfin prête à en découdre.
Direction le bassin de Komatsu pour un stage terminal.
Nous voilà arrivés à Komatsu pour un stage de 3 semaines. L’ambiance est excellente, les séances s’enchaînent, la chaleur est au rendez-vous… Attention tout de même à ne pas sortir de l’hôtel sous peine de se faire exclure du Japon, de bien porter son masque et de respecter ce protocole sanitaire qui, soi-disant, serait le garant de ces Jeux olympiques. Bien que nous aimions toujours tester nos limites, c’est sans encombre que nous clôturons ce stage de préparation terminale. Maintenant, il est l’heure de rejoindre le village olympique pour enfin attaquer ces courses.
L’esprit du village olympique n’a jamais été pour moi l’un de mes penchants préférés. Se retrouver dans une toute petite chambre, être noyé dans la masse, quasi-invisible, comme une fourmi dans la fourmilière. L’ambiance s’est considérablement dégradée avec les restrictions sanitaires : interdiction de sortir du village sauf pour aller sur le lieu d’entraînement ou de compétition, obligation de manger dans de vulgaires box en plexiglass, obligation de se tester tous les matins pour savoir si ce « fameux » virus a réussi ou non à pénétrer les postes de contrôle du village olympique et dans nos corps fragilisés…
Nous voilà maintenant à quelques jours de l’échéance. Derniers réglages sur le bassin, analyse et peaufinage des différentes stratégies de course, le tout, dans une ambiance décontractée. Nous partageons nos chambres avec les slalomeurs. Quel bol d’air frais bien que nous ayons l’interdiction formelle d’aller les encourager. Encore l’une des règles d’or de ce Covid, qui, vous le comprendrez, m’ont bien affecté durant ces Jeux olympiques.
Le jour J arrive, nous y voilà. J’attaque par mes courses sur le K1 1 000 m. Le bassin est très rapide, les chronos tombent pour finir sur mon record personnel (3’27″319) lors des demi-finales qui se gagnent en 3’23″. Cette course, très engagée, me donne le droit de jouer en finale B. Malgré ça, c’est avec fierté que je termine à la 14e place, même si ce n’était pas l’objectif envisagé.
Nous attaquons ensuite le biplace avec mon partenaire. Une entrée en matière difficile, des mauvaises sensations. Malheureusement, nous n’arrivons pas à retrouver les « quelques » sensations que nous avons ressenties la semaine passée sur le lac de Komatsu. Ce résultat est à la fois triste et difficile à gérer. Oui, tout le monde est déçu pour cette contre-performance mais finalement, seuls les deux pagayeurs de ce biplace sont durement impactés. Je n’arrive toujours pas à trouver les mots pour expliquer cette situation qui ne sera jamais abordée par la suite. J’aurais vraiment aimé qu’on fasse sérieusement le tour de la question, sans concession aucune…
Dès la ligne d’arrivée, c’est avec amertume que nous débarquons en direction du hangar. Pas un mot, les larmes au bord des yeux et quelques accolades avec Guillaume, voilà comment nous terminons cette olympiade au Pays du soleil levant.
Une fois le bateau houssé, je prends la direction de ce village olympique qui ne me fait toujours pas rêver. J’ai besoin de prendre l’air, de couper avec cette ambiance à en décaler mon billet d’avion pour repartir au plus vite. Ce sera sûrement la seule satisfaction de la journée. Il m’est difficile de laisser mes copains/copines en plan, mais j’en ai besoin. Je ne veux plus entendre parler de kayak à ce moment-là et l’une de mes coéquipières me remonte le moral par un gros câlin, merci Léa !
Quelques heures après, je m’envole avec d’autres athlètes de différentes disciplines en direction de Paris. À 5h du matin, nous atterrissons à Paris CDG. L’aéroport est vide, nous récupérons nos valises dans le calme le plus absolu. Quelques adieux et me voilà à la sortie de l’aéroport. Je respire enfin ! Un taxi arrive, puis me ramène à la maison. Je suis content de retrouver ma capitale, d’échanger avec ce chauffeur qui me remonte le moral. Arrivé à destination, je vide mes poches de tous ces pin’s que j’aurai pu (peut-être) échanger avec d’autres athlètes. Au moins, j’ai fait un heureux.
Je me retrouve alors à la maison, seul. Cela faisait trois semaines que nous nous déplacions en « meute ». Trois semaines à partager des franches rigolades, des conversations, des pleurs, des joies, de la frustration… Après quelques heures de sommeil, je me réveille en checkant les réseaux ; ce que j’avais l’habitude de faire pendant ces trois dernières semaines. Je n’en crois pas mes yeux, mon pote Adrien Bart termine à la 4e place, c’est extraordinaire !
À cette époque, j’étais persuadé que quelques jours m’auraient suffi pour me remettre de ces Jeux si « bizarres ». En réalité, ces quelques jours se transformeront en quelques semaines, voire quelques mois pendant lesquels je ne me maîtrise plus. Heureusement que mon métier, repris peu de temps après les Jeux, me remet dans le droit chemin… Cela ne m’empêche pas de me réfugier dans les déboires de la vie nocturne parisienne. Il n’est pas question de retoucher à une pagaie de course en ligne mais plutôt, d’autres activités comme le vélo, le ski… en parallèle de mes sorties qui me fatiguent. Cet état de malaise se solde par une rupture du ligament croisé en ski de randonnée sept mois après les Jeux. La Nature est bien faite, croyez-moi. C’est quand même dingue comment le corps est capable de nous rappeler sévèrement à l’ordre.
Il faut s’en remettre d’un ligament ! Des heures et des heures de travail me remettent dans le droit chemin pour revenir sur mes deux jambes. Quelques semaines plus tard donc huit mois après les Jeux (mars 2022), je suis dans mon bateau avec l’idée de renaître en tant qu’homme et kayakiste dans une nature imposante et apaisante.
Une année après, je termine à la 12e place sur le K1 1 000 m lors des championnats du monde d’Halifax. Oui, je suis de nouveau enthousiasmé par ce projet Paris 2024. Qu’en sera-t-il ?…
Du côté matériel.
Je navigue en Nelo Cinco. J’en ai testé d’autres notamment le Sete mais c’est celui que je préfère pour les sensations de glisse qu’il me procure. Nelo a toujours été mon fournisseur. La qualité, la rigueur et les tarifs accordés de Nelo me satisfont. J’ai aussi profité de bateaux de prêt et de bateaux offerts. Je pagaie en Beta Rio de chez Jantex. Je la préfère à la Gamma Rio car elle se place toute seule à l’attaque. J’utilise une 2m19.5 (Large). J’avais commencé en 2m22 mais c’était beaucoup trop. En K2, je monte légèrement (2m20).
Étienne Hubert (mars 2024)
Témoignage recueilli par Jean-Paul Cézard
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