Les JO de Tokyo 2020 vus par Manon Hostens

Avant de faire du kayak, j’étais très multisports. Le mieux, c’était l’UNSS au collège. Je m’inscrivais à toutes les activités possibles. Je n’arrêtais pas et c’était vraiment mon kiff. Je pense que j’étais accro. Quand j’étais en manque et que je devenais trop chiante, mes parents me faisaient faire le tour de la maison plusieurs fois pour me calmer. J’ai commencé par la danse, un grand classique pour une fille. J’ai pratiqué l’escalade, la gym, le karaté et le tennis. Mes parents avaient une règle : si on voulait pratiquer un sport, on prenait une licence et on devait s’y tenir la saison entière. Puis, on pouvait continuer ou changer selon nos goûts. C’est comme ça que j’ai aussi pratiqué le basket, l’équitation, le badminton, le volley, l’athlétisme… et du kayak bien sûr. C’est ce qui m’a donné la caisse c’est-à-dire la base foncière et le physique qui me caractérisent aujourd’hui. J’aime la compétition.

C’est au lycée que s’est posée la question de rejoindre un pôle espoir. J’ai choisi le kayak plutôt que le basket. Il y avait l’attrait du plein air et des sorties en pleine nature. J’étais plutôt branchée eau vive, « navigation plaisir » d’abord puis compétition descente. Étant du Sud-Ouest, mon frère étant aussi kayakiste, on s’est retrouvés tous les deux au pôle de Pau. Là, il y avait un coach dédié, un entraînement structuré et planifié, des activités physiques annexes… Tout pour me faire progresser rapidement. Bref, l’accès à la haute compétition s’est fait progressivement mais assez vite.

J’ai eu à cœur de vous faire découvrir toutes les situations que nous avons rencontré. Vous verrez…

 

 

QUELQUES MOTS SUR MON MATÉRIEL EN VUE DE TOKYO

Pour l’entraînement et les courses en individuel, j’étais en Plastex Fighter 09, c’était une « poutre » assez stable qui reste bien dans ses lignes et dans lequel je peux vraiment m’exprimer. Puis Plastex a sorti un nouveau bateau, le Bullet 2020, qui est aussi très stable mais plus nerveux. Je me suis orientée vers ce bateau là car, quand le bassin est démonté, j’ai l’impression qu’il peut sortir plus facilement des vagues.

Il faut dire que j’ai souvent changé d’embarcations puisque je cours à la fois en eau vive et en eau plate. Entre descente et course en ligne, je m’adapte très vite. Si j’avais un Nelo, que ce soit un Quattro ou un Cinco, j’arriverais au bout de 2-3 séances aussi à me faire plaisir. Ma pagaie est une Jantex.

 

AVANT TOKYO

Les JO de Tokyo ce sont fait attendre avec leur report d’un an à la suite de la crise du Covid. Pour s’adapter au décalage horaire à l’humidité et à la chaleur japonaises, nous avons effectué notre stage terminal deux semaines avant le début des compétitions à Komatsu à une heure de vol de Tokyo en pleine campagne.

Avant de partir, nous avons dû administrativement remplir tout un dossier via une application avec tous les documents demandés. Ces mesures étaient surtout faites pour rassurer le peuple japonais sur la question du Covid. Notre arrivée à l’aéroport de Tokyo était donc très protocolarisée avant de pouvoir prendre notre correspondance pour Komatsu.

Pour éviter tout problème de non respect des régles sanitaires, l’hôtel était exclusivement pour nous. Lors des « test-events » de 2019, des membres de l’encadrement sont allés découvrir l’hôtel pour voir les choses à améliorer pour notre accueil d’avant JO. Nous avons donc apporté des matelas en plus des futons locaux pour améliorer le confort, et nous avons donné des indications sur nos habitudes alimentaires. Nous avions toujours un plat typique de là-bas et un plat occidental.

L’hôtel comportait également des onsens. Ce sont des piscines d’eau chaude (voire très très chaude) pour s’y détendre.

Nous avions un accompagnateur/guide pour nos sorties de l’hôtel mais cela se limitait à aller au bassin. Il communiquait avec nous grâce à de petites affiches qu’il avait imprimé et traduit sur internet au préalable. Un soir il nous a fait la surprise de nous proposer d’aller voir un coucher de soleil, mais juste depuis le bus. C’était « un peu beau », comme il nous l’a traduit.

 

Le bassin d’entraînement de Komatsu

Notre lieu d’entraînement est magnifique, on a de beaux couchers de soleil et une vue sur les montagnes. C’est parfait pour s’entraîner sereinement. Nous partageons le bassin avec l’équipe de Nouvelle-Zélande. L’ambiance est un peu crispée avec eux à cause du Covid. Ils sont très à cheval sur les mesures sanitaires strictes et n’hésitent pas à nous rappeler à l’ordre si nous enlevons notre masque trop tôt par rapport au moment où nous embarquons.

 

Test salivaire dès l’arrivée au bassin

Tous les matins, en arrivant au bassin, nous devions récupérer un kit de test salivaire, le remplir et le remettre avant de pouvoir accéder au hangar à bateaux. Par conséquent, pour le réaliser le plus vite possible avant d’arriver, tout le monde se taisait dans le bus pour faire sa réserve de salive et remplir son tube en un seul gros crachat.

Le premier jour, tout le monde se mobilisa pour décharger le container et installer les bateaux et appareils de récupération dans les locaux attribués pour l’entraînement : déchargement des bateaux, installation du bain froid, des chaises, des wattbikes, des pagaies. On a vérifié si rien n’avait été abîmé pendant le transport.

Une fois bien installés, nous voila en route pour un bon stage d’acclimatation. Les bateaux féminins prioritaires étaient le K2 et le K4, les courses de monoplaces étaient plus là pour garder le rythme et engendrer de l’expérience. Comme prévu, Léa et Vanina courront le 200 m en monoplace, Sarah et moi le K2 et toute ensemble le K4. Je devais aussi courir le K1 500 m. Pour ma part, les séances d’intensité furent systématiquement faites en équipage, K2 ou K4. Les séances en K1 furent réservées à la récupération active et au recalage technique.

Le temps était très lourd et humide. La piscine de cryothérapie a donc fait vraiment du bien pour récupérer. J’étais plutôt satisfaite car nous réalisions de bons chronos. Je sentais que nous étions sur la bonne voie…

 

La vie à l’hôtel entre les entraînements – cérémonie d’ouverture des JO

Nous étions confinés à l’hôtel entre nos séances pour des raisons sanitaires. Mais nous n’avions pas le temps de nous ennuyer avec les séances de kiné, d’étirements et les analyses des vidéos… Et lorsque nous avons un peu de temps libre, nous jouions tout simplement… aux cartes.

Un malheur pouvant en cacher un autre : pas de cérémonie d’ouverture pour nous car notre lieu de stage était beaucoup trop éloigné de Tokyo, et surtout, notre préparation n’était pas terminée. Nous l’avons donc suivie à la télévision tous ensemble en tenue de cérémonie. Pour notre dernier repas, le chef cuistot nous a fait un grand buffet. Le personnel de l’hôtel nous a écrit un petit mot avec une photo souvenir en partant. Nous avons été très bien accueillis.

 

Tokyo et son village olympique

Direction le village olympique, les choses se concrétisaient de plus en plus. J’étais impatiente de prendre le départ même si il me restait encore quatre jours à attendre. Cela faisait cinq ans que j’attendais le moment de revenir sur une compétition de cette ampleur. Nous avons eu la chance d’avoir un ciel dégagé pour apercevoir le mont Fuji lors de notre vol vers Tokyo.

À l’aéroport, cette fois c’est le temps de faire les accréditations pour aller et entrer au village olympique qui nous prend un peu de temps. Une fois arrivés, nous sommes acceuillis par des membres du CNOSF avec les petits cadeaux que chaque athlète olympique obtient à son arrivée. Et puis, il y a l’excitation de l’emménagement dans nos chambres, le confort, la vue du balcon, le voisinage…

Bien entendu, il y a aussi la découverte de la classique couverture olympique (couette) avec les fameux lit en carton (Paris 2024, idem). Personnellement je n’ai pas vu la diffrence avec un lit classique à part que c’est bien plus facile à déplacer. Nous sommes dans un petit appartement de deux chambres avec un salon et une terrasse. La salle de bain est une cabine de type salle de bain d’hôtel Première Classe. C’est une volonté de l’organisation car les appartements ne sont pas entièrement finis puisqu’ils sont déstinés à être revendus, les finitions seront donc faites aux goût de l’acquéreur.

 

La vie au village

L’avantage du village olympique c’est qu’on n’a pas eu le temps de s’ennuyer et de stresser en attendant la compétition puisqu’il y avait pas mal d’activités à faire.

Chaque édition de JO est unique, il est donc normal d’immortaliser le moment, on a mis le coach (Frédéric Rebeyrol) à contribution pour nous faire des petites photos dans les lieux emblématiques du village avec les anneaux et l’avenue des drapeaux des pays participants. Il nous a bien fait rire à se prêter au jeu du photographe. C’était incroyable comment les organisateurs avaient pensé à tout dans ce village, même à une petite navette électrique économe en énergie qui permettait la visite.

Entre les photos souvenirs du village, nos journées étaient agrémentées de contrôles anti-dopage, conférences de presse en visio ou encore par la décoration de nos pagaies de K4… La mienne avait été décorée par un ami artiste peintre, et nous avons souhaité être assorties toutes les quatre. Bon, cela n’a pas été simple mais sur les photos de loin, nous ne voyons pas la différence. Nous étions contentes du rendu final.

 

La restauration

Le réfectoire était un grand espace où nous trouvions toutes sortes de cuisines pour que chaque athlète bénéficie d’une équité dans son régime alimentaire par rapport à ses habitudes. En raison de la crise sanitaire nous avions de grands plexiglass de séparation pour limiter les risques de contamination.

 

Pas de supporters, qu’à cela ne tienne, soutien à distance

Visio avec ma famille la veille de course. Le soir, c’était le bon moment de donner des nouvelles à la famille qui apportait tout le soutien qu’elle pouvait de l’autre bout du globe car pour eux c‘était le matin. Ma famille avait prévu de venir nous encourager dans les gradins mais ils se sont vus annuler le voyage et les réservations à cause des interdictions sanitaires.

 

Le bassin olympique

Pour aller sur le lieu de compétition, nous avions une navette au départ du village. On entrait directement dans la zone athlète dédiée aux athlètes et à l’équipe d’encadrement. Chaque bus était scellé d’une étiquette avant la sortie du village jusqu’au lieu de compétition pour attester d’un confinement village/lieu de compétition. Personne ne passait en dehors de ces zones. Le bassin était dans une baie aménagée spécialement pour l’occasion. Il était assez exposé à un vent qui restait plus ou moins dans l’axe.

Lorsque nous sommes arrivés, tous nos bateaux avaient déjà été déchargés et avaient reçu leur autocollant de contrôle de jauge. Mon monoplace avait été abîmé au niveau du gouvernail pendant le transport. Heureusement, j’avais prévu un gouvernail de rechange. J’aime naviguer avec un gouvernail incliné et les constructeurs n’ont pas forcement ce modèle. Comme souvent, les constructeurs avaient déployé leur stand pour polisher et réparer nos bateaux. Ils me l’ont installé en quelques minutes. Merci.

 

Grosse logistique

Le dernier petit réglage à faire c’était de vérifier tous nos calages car nos bateaux de compétition étaient partis trois mois avant, en container. Nous avions donc un lot qui allait directement à Tokyo et un lot qui allait à Komatsu pour le stage terminal. À cela, s’ajoutait le lot de bateaux que nous avions utilisé les mois précédant notre départ. Afin d’être certaines d’avoir les mêmes assises dans le bateau pour respecter une bonne ligne de flottaison et une bonne distance entre coéquipières d’un bateau à l’autre, nous avions pris des notes.

Les conditions climatiques à Tokyo étaient bien plus chaudes et humides qu’à Komatsu, il y avait moins de circulation d’air. Il faisait vraiment très chaud. J’ai dû improviser une ombrelle avec mon sac en attendant la navette pour rentrer au village olympique. L’équipe d’encadrement nous a rapidement proposé des petites ombrelles, nous avons vraiment été accompagnées aux petits oignons lors de ces JO. Merci le staff.

 

Jours de compétition

Enfin, jour de course. Avec Sarah nous commencions par la série du K2 500 m. On y est allé avec beaucoup d’envie et même avec le sourire. Nous étions contentes d’être là.

Avant chaque course, je me passais sous l’eau avant d’embarquer. Cela me permettait de rester un peu plus longtemps au frais dans mes vêtements humides. Je n’enlevais la cravate de froid placée autour du cou qu’une fois le contrôle d’identité effectué à l’embarquement.

En série, on se qualifie directement en demi-finale sans passer par les repéchages mais sans gagner non plus. Le premier départ est toujours le plus stressant pour moi car c’est le moment où je rentre réellement dans la compétition avec un petit doute. Mais, une fois lancée, je passe en mode guerrière et le stress diminue. Encore aujourd’hui, je dois passer par cette première étape. Le lendemain matin on a remis ça en demi-finale. On devait se classer dans les quatres. Il y avait plus de densité que sur des mondiaux car deux bateaux par nation pouvaient être alignés contrairement aux championnats du monde.

Ce fut de nouveau stressant car la compétition pouvait s’arrêter là. Mais on étaient prêtes à en découdre avec Sarah et à ne rien lâcher jusqu’au bout, malgré des conditions plus ventées que la veille. La qualification en finale s’est jouée à quelques centièmes. On a fini 3es. Le bateau slovène à notre droite, avec qui on se battait, a déssalé juste avant de passer la ligne. C’était un peu perturbant mais on est resté concentrées jusqu’au bout. Bref, sur le ponton au moment de la pesée d’après-course, on a quand même pris le temps de savourer. Puis, pour bien récupérer, nous sommes remontées en K2 avec nos gilets de froid et nos cravates. Ce tour nous a permis de nous recentrer sur notre navigation en vue de la finale prévue deux heures plus tard. En finale, nous n’avions rien à perdre. On est parti de manière très offensive puis on s’est accrochées tant qu’on pouvait jusqu’à la ligne. On terminera finalement 7es.

 

Pas trop déçue et même fière

Lorsqu’on regarde les écarts avec les bateaux qui étaient devant nous aux derniers championnats du monde, on constate que trois d’entre eux sont derrière nous, mais de nouveaux très bons équipages se sont formés… Notre résultat brut est moins bon que notre 5e place aux mondiaux mais en terme de réalisation, ce fut mieux. C’est très frustrant de voir que le travail effectué n’a pas payé comme on voulait. Ceci dit, je suis fière de cette course et du parcours réalisé avec Sarah.

 

Place aux séries qualificatives du K1 500 m

Une petite demi-journée de récupération avant de remettre ça en monoplace. Le but était de me permettre de rester connectée à la compétition car j’ai un profil de type « diesel ». Il me faut du temps pour rentrer dans mes compétitions mais une fois lancée je reste dans un bon rythme à condition de ne pas trop relâcher. Pleine d’envie, ce fut quand même difficile de retrouver mes allures et sensations. Et pour cause, la préparation avait été essentiellement orientée sur les équipages. Je me suis donc battue avec mes armes du moment mais c’était les JO et je voulais tellement performer… Bref, ce fut rude. Après séries, quarts et demi-finales, j’échoue finalement à la 23e place. Grosse désillusion.

 

Retour enfin à l’équipage

De nouveau une petite demi-journée de récupération et me revoilà partie pour la ligne de départ. Cette fois avec trois moteurs supplémentaires prêtes à en découdre. Vanina Paoletti finira le speech d’avant-course par « objectif brancard » (NDLR : mourir plutôt que d’échouer). Ça nous a beaucoup plu et c’est resté dans notre vocabulaire de course. On avait à cœur de faire une belle compétition en K4 pour finir ces JO. La série a été plutôt correcte, les bonnes sensations étaient là avec juste quelque petits détails à régler pour la suite. On fera une très belle demi-finale, offensive, bien ensemble, bien construite avec le grain de folie qui va bien. Nous ne passons pas pour trois petits centièmes. Les éléments étaient contre nous. Nous nous retrouvons les premières non-retenues en finale A et gagnons d’une bonne seconde la finale B.

Il faut savoir qu’à mi-course, nous étions bord à bord avec les favorites hongroises – qui remporteront la finale A – sur un côté du bassin. Cela était trompeur puisque, dans les couloirs opposés un peu mieux protégés du vent, les autres bateaux étaient légèrement devant… Il est clair que nous n’étions pas les meilleures mais nous avions le niveau d’aller en finale A. Au vu de notre chrono vainqueur en finale B, nous aurions pu jouer avec un bon couloir, la 6e place derrière l’Allemagne. Nous terminons donc déçues car nous avions réussi à élever notre niveau avant ces Jeux olympiques. Nous avons donné le meilleur de nous-mêmes.

 

FIN DES JO – DÉPART POUR LA CÉRÉMONIE DE CLÔTURE

Nous devions défiler dans le stade olympique nation par nation. Du village, c’était tout un périple pour y aller. Nous avions rendez-vous 4 heures avant la cérémonie au pied de notre bâtiment pour rejoindre le reste de la délégation française. De là, il nous fallait prendre le bus jusqu’au stade. Une fois arrivés dans les entrailles du stade, nous devions attendre notre tour pour défiler. La France étant le prochain pays organisateur des JO, Nous étions les avant-derniers devant le Japon. Ce fut long mais ça valait le coup. Cette cérémonie à huis-clos fut bien entendu très différente de celle de Rio, beaucoup plus festive. J’ai éprouvé des frissons lorsque j’ai vu le spectacle retransmis en direct sur grand écran depuis le Trocadero à Paris au moment de la passation du drapeau olympique entre Tokyo et Paris.

 

 

Retour en France

L’avion affrété était entièrement réservé à la délégation française. Les médaillés voyageaient en première classe et les autres en classe économique. On a eu droit au tapis rouge en sortie d’avion. Puis descente après les médaillés attendus pour une conférence de presse organisée sur le tarmac.

 

Manon Hostens (février 2024)

Témoignage recueilli par Jean-Paul Cézard

 

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