Les JO de Los Angeles 1984 vus par Bernard Bregeon
Né en 1962 à Suresnes (Hauts-de-Seine), licencié à l’Athlétic Club de Boulogne-Billancourt (ACBB), membre de l’équipe de France de course en ligne de 1982 à 1992, Bernard Bregeon aura marqué notre histoire par sa personnalité et ses brillants résultats.
DEUX MÉDAILLES OLYMPIQUES AUX JO DE LOS ANGELES…
Ma carrière sportive a débuté bien avant 1982, dès junior et jeune sénior, je dirais que c’est 15 années de mon existence. J’ai eu deux carrières sportives différentes, une carrière attachée à mon club (Athletic Club de Boulogne Billancourt) et une autre avec l’équipe de France. J’ai été très attaché à mon club où nous vivions des moments de convivialité et de joie, où la compétition était source de grand plaisir. À côté, il y avait l’équipe de France tournée vers la performance et la recherche de résultat. Ce sont deux carrières distinctes mais complémentaires.
Mon club était extra enterme d’ambiance et de logistique. Il y avait une émulation, un vrai esprit d’équipe. On était entre nous, on n’avait pas de mentor, juste une grande bande de copains. On connaissait nos niveaux, pas de cachoteries. Je préférais m’entraîner au club qu’à l’INSEP. Pourtant, je regrette de ne pas être allé en section sport-étude. C’était vraiment une bonne structure à mon époque. Je suis resté au lycée à Paris et c’était galère pour s’entraîner. À l’INSEP, quand j’ai pu accéder aux études de kiné, les horaires étaient aménagés pour faciliter l’entraînement. C’était beaucoup mieux.
On s’entraîne pour s’améliorer. Et, quand tu vas sur une compétition internationale, tu sais ce que tu vaux. Au total, on n’arrive pas aux JO par hasard. Tu y vas parce que tu as fait ce qu’il fallait pour y aller. Pour l’international, on ne pariait pas sur moi. Je n’avais pas le profil type de quelqu’un qui gagne en kayak avec un poids de forme de seulement 68 kg. J’étais hors gabarit. Mais j’avais envie de performer et de ne rien lâcher. Les Jeux olympiques ne sont pas devenus un objectif du jour au lendemain. Il y a toute une gradation dans les compétitions. On gravit les marches une par une, ça se fait naturellement.
MES COURSE À LOS ANGELES
Un peu déçu du K1 500 m puisque je ne fais que troisième. C’était le seul matin avec vent de face. J’aurais peut-être dû aller un tout petit peu plus vite. C’est bizarre parce que souvent quand tu remontes, ce sont les autres qui s’effondrent. J’aurai dû partir une seconde plus vite certainement.
En K2 1 000 m avec Patrick Lefoulon, on a fait deuxièmes mais on aurait aussi pu faire sixièmes ; c’était très serré. On a eu la chance d’être à côté des Canadiens qui nous ont bien entraînés. Ma médaille de bronze était en-dessous de ce que j’aurais pu faire, notre médaille d’argent au-dessus de nos objectifs.
On utilisait des pagaies Streuer bois à pales assez plates. Je pagayais très long à l’époque : 2,24m. Les pagaies wings très creuses sont arrivées bien plus tard. En moyenne les pagaies étaient à 2,20m.
La réussite en équipage
L’entente dans un équipage, c’est souvent une alchimie très particulière. Une fois embarqué dans le même bateau, il faut se donner à fond. Il faut faire abstraction des ressentiments et ne penser qu’à la performance. Il y a bien sûr un aspect technique et de forme physique à coordonner, mais il faut aimer naviguer ensemble et y trouver du plaisir. Mon avis personnel, c’est qu’il devrait se dégager d’un équipage, un « leader » qui assure la cohésion et l’entente. Le K2 avec Patrick, champion du monde (Belgrade en 1982) et médaillé olympique (Los Angeles, 1984) m’aura le plus marqué.
À l’époque de Patrick, les meilleurs formaient eux-mêmes des équipages. J’étais de la génération d’après, il n’y avait plus vraiment de copinage. Patrick était laborieux à l’entraînement. J’ai appris à l’apprécier en naviguant avec lui. Peu d’entre nous s’associaient par affinité. D’une année à l’autre, tu pouvais changer d’équipier pour rechercher la performance.
LA FORCE DE L’ENTOURAGE ET LES MANQUES
Mes parents m’ont toujours soutenu et ont été très présents. Le soutien des parents est une des clefs de la réussite pour les plus jeunes. Mes amis de l’ACBB ont toujours été là aussi pour m’aider dans mon projet de performance du haut niveau. Je le dis souvent, mon club c’est ma deuxième famille. Mes équipiers de l’équipe de France m’ont aidé à me surpasser à l’entraînement comme en compétitions internationales. J’ai eu la chance de rencontrer mon épouse au sein de l’équipe de France et cela m’a beaucoup apporté. Pour les entraîneurs, je suis peut-être sévère mais j’ai le sentiment de ne pas avoir eu les entraîneurs que j’aurais pu espérer. On était pris en main par la structure fédérale trop tard, sur les stages et les compétitions. On aurait aimé ne s’occuper que d’entraînement. Il fallait aussi penser à une reconversion assez rapide pour enfin espérer gagner sa vie.
On a eu la chance d’avoir des étrangers venus s’entraîner avec nous ; ça nous a permis de structurer un peu plus les entraînements. Peu à peu, on est passé d’un entraînement gros-volume à un entraînement plus qualitatif. On montait en bateau en ayant un plan d’entraînement, un objectif pour la séance, tout l’inverse de ce qu’on faisait avant. Et quand je revenais dans mon club, on faisait une sortie longue en groupe. Tout était structuré entre le bateau et la musculation.
L’APRÈS-JO 84
Je sors des JO double-médaillé et hyper-motivé. En 1985, cap sur les championnats du monde. Je savais qu’avec Patrick c’était la dernière année. Je savais très tôt que je serai sélectionné. On était un peu choyé et protégé pour les sélections à l’époque. J’étais bien mieux qu’en 1984. J’ai obtenu une troisième place en K1H 500 m tout près des 2 meilleurs (RDA et RFA) et une cinquième en K4 tout près du podium. En revanche, en 1987, je suis tombé malade aux championnats du monde, je n’étais pas médaillable. La préparation pour les JO de 1988 n’a pas été idéale. Et l’ambiance pour la préparation des JO de 1992 non plus.
Mes meilleurs souvenirs d’athlète
Les deux médailles aux Jeux olympiques de Los Angeles 1984 (argent en K2 1 000 m et bronze en K1 500 m) même si j’ai un sentiment d’inachevé pour le monoplace. Mon modèle : Vladimir Parfenovitch kayakiste russe multimédaillé.
Les mauvais souvenirs
Je me souviens de deux échecs : le premier aux Jeux de Séoul en 1988 (élimination en repêchage du K2 500 m avec Olivier Lasak). Il tient de la contre-performance et de la méforme du bateau. Sur une autre période de la saison, nous aurions pu être en finale. C’est un échec purement sportif. Le deuxième, c’est la non-sélection aux Jeux de Barcelone 1992 en K2 1 000 m, je l’ai vécu comme une injustice. Nous étions régulièrement devant le K2 qui allait être sélectionné. Nous avons eu le sentiment d’être victime d’un choix injuste.
Ma reconversion a été facile, c’était programmé. J’avais poursuivi une formation de kinésithérapeute-ostéopathe pendant ma carrière sportive. Le plus compliqué a été de choisir une localisation pour m’installer. Je suis en exercice libéral, ce qui me permet de dégager du temps pour les loisirs.
Les perspectives : Paris 2024…
Cela sera un grand bonheur d’assister aux épreuves de sprint des Jeux olympiques de Paris à Vaires. Se rendre à Los Angeles en 2028 pour assister aux Jeux serait aussi un formidable projet. J’y réfléchis.
Le sauvetage sportif en mer
C’est une grande fierté d’avoir pu introduire cette discipline en France. J’ai été un des fondateurs du premier club de sauvetage à Biscarosse. D’autres clubs se sont créés et un championnat a même vu le jour. Je pense que le sauvetage pourrait encore se développer si les postes de secours se multipliaient comme en Australie.
Le canoë-kayak a influencé mon existence même après ma carrière sportive. Ce sport a profondément modifié ma vie. J’ai appris avec ce sport à me battre, à me surpasser et à ne jamais renoncer. C’est une très belle école de la vie.
Bernard Brégeon (février 2024)
Témoignage recueilli par Jean-Paul Cézard
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