Les JO de Los Angeles 1984 vus par Patrick Lefoulon

Patrick à la lutte avec Bregeon et Boucherit sur un 10 000 m. — Extrait du Bulletin AIFCK n° 72

Patrick Lefoulon est né en mai 1958 à Mantes-la-Jolie (Yvelines). Son club de toujours a été l’Association Sportive Mantaise (AS Mantes – Yvelines). Il est médecin généraliste de profession. Son ambitieux double projet études de médecine et sport de haut niveau n’a pas été simple à mener à bien. Malgré cela, il a réussi à participer à de nombreux championnats du monde et à deux JO. C’est en équipage avec Bernard Bregeon qu’il a connu ses heures de gloire : un titre de champion du monde sur 10 000 m en 1982 et une seconde place aux JO de 1984 sur 1 000 m.

 

 

UNE MÉDAILLE OLYMPIQUE VENUE DU DIABLE VAUVERT

Parcours sportif en résumé

L’association en kayak biplace avec Bernard Bregeon a débuté en 1982 avec le premier titre de champion du monde jamais remporté par un kayak français. En effet, nous avons gagné l’épreuve de kayak biplace sur 10 000 m (distance non olympique depuis 1960) à Belgrade (Yougoslavie). Bien sûr, les canoéistes Turlier-Laudet avaient ouvert la voie sur cette distance (JO de 1952), d’autres suivirent lors de mondiaux ultérieurs.

Podium du K2H 10 000 m : Lebbink-Stevens (2e HOL), Lefoulon-Bregeon (1er FRA) et Szabo-Toth (3e HUN). — Coll. Lefoulon

En 1983, nous confirmions avec une 7e place en K2 1 000 m (distance olympique) sur le bassin agité de Tampere (Finlande). Les Jeux olympiques de Los Angeles, l’année suivante, s’annonçaient sous les meilleurs auspices. Mais voilà, le sport n’est jamais une ligne droite. Une blessure à l’épaule suivie d’une opération chirurgicale associée à un chamboulement familial m’entraînait dans la spirale de la méforme et des doutes. Cela fut compliqué à gérer. J’étais descendu très bas. Il fallait remonter. Compte tenu de ma condition, l’entraîneur de l’époque, Alain Lebas, m’avait logiquement évincé du quatre places alors qu’il était prévu que je double K2/K4. Au cours de la saison, les contre-performances s’accumulaient aussi bien en monoplace qu’en équipage. Pendant ce temps-là, mon équipier, Bernard Bregeon brillait en K1.

J’arrivais donc à Los Angeles en juillet 1984 avec de sérieux doutes sur mon état de forme et notre capacité à performer. Mais en sport, rien n’est écrit à l’avance. Nous arrivons à nous qualifier pour la finale du K2 1 000 m démontrant une nette amélioration par rapport aux précédentes compétitions et aux entraînements. Le tirage au sort des couloirs nous place à côté des Canadiens. Nous décidons de calquer notre course sur ce bateau qui apparaissait favori : bien nous en a pris. Nous passons en 8e position à mi-course loin des Allemands qui menaient un train d’enfer. Appliquant la stratégie du « negative split »*, nous réalisons un deuxième 500 m plus rapide que le premier, ce qui nous permis de terminer à la deuxième place derrière le Canada et devant l’Australie.

Le podium de Lefoulon-Bregeon (2e FRA), Fisher-Morris (1er CAN) et Kelly-Kenny (3e AUS). — Photo DR

Avec cette médaille d’argent, nous participions à un bilan exceptionnel et inégalé du canoë-kayak français lors de Jeux olympiques : 4 médailles (une argent et trois bronzes) et 8 places de finalistes.

 

MON CHEMINEMENT VERS LE GRAAL

Parcours plus détaillé

L’objectif de participer aux Jeux est arrivé à mes vingt ans à l’INSEP. Je suis entré à l’INSEP en junior 2, j’étais champion de France. C’est moi qui ai fait la démarche de demander pour y entrer. J’étais étudiant en médecine à l’époque. J’étudiais au CHU de Créteil à Henri-Mondor en même temps que je m’entraînais.

J’ai parfois priorisé mes études surtout les « années post-olympiques » et parfois, j’ai donné priorité au sport notamment les « années préolympiques ». Le tout étant d’avoir un cursus universitaire cohérent, un cursus rallongé de deux ans, soit dix ans au lieu de huit.

 

MES PREMIERS JEUX – MOSCOU 1980

Los Angeles, n’était pas mes premiers Jeux. Mes premiers, c’était à Moscou en 1980. Nous étions logés dans le village olympique. Ce fut inoubliable. Le contexte politique de l’époque était particulier. Il y avait un boycott des pays occidentaux contre l’URSS au sujet de l’invasion contre l’Afghanistan. Au départ, sous influence américaine, on ne devait pas y aller. Puis un certain nombre de comités olympiques ont décidés de passer outre. Finalement, une délégation a été envoyée. Finalement, on a passé des Jeux très bien organisés, à la méthode soviétique (une rigueur et une discipline à toute épreuve). C’est un excellent souvenir malgré le contexte politique qui a noirci les Jeux. J’ai fait le K1 500 m j’ai loupé de peu la finale, on a fait le K4 1 000 m et on a fini sixièmes, après être restés tout du long de la course en troisième place. On s’est fait passer par deux bateaux dans les cinquante derniers mètres.

Patrick après une séance de K1 à Moscou. — Photo FFCK

À cette époque, il y avait des courses de sélection qui se faisaient à Choisy-le-Roi. Neuf personnes invitées par catégorie. Puis un collectif était arrêté en vue des régates internationales. Notons qu’à l’époque on réclamait des règles de sélection qui soient clairement définies en début de saison et qui n’évoluent pas…en fonction de la méforme de l’un ou de la bonne forme de l’autre. Il y avait aussi un circuit de coupe du monde non officiel avec quatre ou cinq courses, majoritairement dans les pays de l’Est (Roumanie, Allemagne de l’Est, Russie et Hongrie). C’étaient des courses où il fallait se montrer pour attirer l’attention des sélectionneurs avant l’échéance annuelle.

Après Moscou, je suis sorti en me disant que je serai champion olympique ! Alain Lebas m’avait inspiré, je n’étais pas loin de lui en K1. J’ai redoublé d’énergie à l’entraînement. J’ai essayé d’être plus qualitatif et moins quantitatif.

 

RETOUR SUR MES SECONDS JEUX – LOS ANGELES 1984

Entre les Jeux de Moscou et ceux de Los Angeles, nous avons fait quelques compétitions internationales. On en faisait deux ou trois par an. On s’entraînait parfois sur place avec les équipes de différents pays. Mais, s’agissant des pays de l’Est très dominateurs, on participait à des stages très profitables où l’on pouvait comparer nos façons de s’entraîner avec les leurs.

J’avais accroché les Allemands de l’Est et les Russes qui dominaient avec les Hongrois. Je m’étais dit que j’allais pouvoir vraiment concourir avec ces gens-là. C’est vers 22 ans, que j’ai compris qu’il était possible d’aller chercher une finale aux championnats du monde ou aux JO.

Lefoulon-Bregeon en course pour le titre aux CM de Belgrade en 1982. — Photo JP. Cézard

J’ai réalisé de bonnes performances aux championnats du monde à Nottingham en 1981, quatrième en K1 500 m à deux dixièmes de la médaille. En 1982, à Belgrade, on a été champions du monde en K2 sur 10 000 m avec Bernard Bregeon. Puis, en 1983, toujours avec Bernard, lors d’une tempête en Finlande, on s’est classés septièmes loin des vainqueurs allemands de l’Est. Le bassin n’était pas équitable, les lignes d’eau étaient tirées au sort alors qu’aujourd’hui, elles sont fonction de tes résultats en demi-finale.

Lefoulon-Bregeon en course aux CM de Tampere en 1983. — Photo JP. Cézard

 

Les Jeux de 1984. Aux États-Unis, nous étions logés dans un village olympique annexe situé à deux heures de voiture de L.A. près du lac Casitas. Un « petit village olympique » installé dans une « petite université » à Santa Barbara où il n’y avait que les équipes d’aviron et de canoë-kayak. Il n’y avait pas l’ambiance olympique vécue à Moscou. Aussi, à la suite de nos courses, on s’est réjouis de rejoindre le « vrai » village olympique pour enfin profiter d’une ambiance digne d’un tel événement. À Santa Barbara, on était loin de tout mais cela nous a permis de rester concentrés sur les épreuves.

Dans notre finale olympique, les Canadiens ont gagné. Mais, pour nous, l’argent c’était déjà tellement beau, qu’on ne s’est même pas demandé ce qu’il aurait fallu faire pour les battre. J’étais tellement heureux d’être sorti de toute ma galère. Une médaille en argent a largement suffi à mon bonheur.

 

Au niveau matériel. On utilisait des pagaies à pales assez plates. À la fin des années 1980, on a vu arriver des pagaies à pales creuses appelées wing. Cela a été révolutionnaire, les chronos ont été nettement améliorés. Si j’avais eu des pagaies creuses, peut-être aurais-je pu franchir le dernier pallier pour être un champion olympique en monoplace. Avec la première wing que j’ai pu essayer, on sentait tout de suite que la propulsion était plus efficace, que l’accroche de l’eau était nettement améliorée. À cette époque, il manquait aussi le système « vario » qui permet aujourd’hui de régler la longueur de manche et l’angle de pales dont la surface elle reste invariable.

Nos bateaux Struer en bois étaient beaucoup plus stables que ceux de maintenant car la réglementation s’est assouplie (largeur de coque plus réduite qu’avant). Les nouvelles coques sont plus profilées pour aller plus vite. Les premiers bateaux tout carbone sont arrivés à Los Angeles en 84.

 

MA RECONVERSION

Après ces seconds JO, je devais me consacrer à la fin de mes études et à ma famille puisque je venais d’être papa. Mais, pendant deux trois ans, plus d’une fois j’ai voulu relancer ma carrière de haut niveau. Je me suis peu à peu raisonné car j’avais bien d’autres challenges à relever. Cette ambiance d’entraînement, de compétitions et de stages me faisait toujours envie. Et puis, la vie normale a repris le dessus. Cela dit, ce virage n’a pas été facile à négocier.

Cette médaille a été pour moi l’aboutissement d’une carrière sportive. À la fédération, on voulait que je poursuive. Finalement, j’ai tourné la page à 26 ans, donc très tôt. À mon époque, il n’y avait pas de sponsors, mais juste quelques retombées médiatiques pour soi et pour le club. Malgré tout, j’ai été honoré de façon importante. Financièrement aussi puisque que l’État versait une prime défiscalisée aux médaillés olympiques. Ces retombées m’ont aidé à me reconvertir.

Patrick et sa fille Salya, médaillés sous les couleurs de l’AS Mantaise. — Coll. P. Lefoulon

Maintenant, je suis très attentif à mes filles qui pratiquent également la course en ligne à bon niveau. J’espère pouvoir encore transmettre ma passion pour ce sport…

 

Patrick Lefoulon (février 2024)

Témoignage recueilli par Jean-Paul Cézard

 

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