Les JO de 1992 et 1996 vus par Anne Boixel

Anne Boixel en tenue d’entraînement JO 1992

Anne découvre le kayak au club de Rennes, un club réputé pour ses bons slalomeurs. Sa carrière internationale se déroule entre 1985 et 1997. Elle gagne trois titres de championne du monde en équipe K1 D (1989, 1993, 1995). Dans les épreuves individuelles, elle se classe : 11e aux JO 1992,  2e aux championnats du monde 1993 et 1995, 3e en coupe du monde 1995 et 6e aux JO 1996.

 

 

 

 

 

 

Mes débuts

Je découvre le CK lors d’une sortie scolaire de fin d’année en 3e. Je ressens un plaisir proche de ce que je vis en voile l’été : liberté d’action, connexion à la nature, faire un avec son embarcation…

Détectée en primaire, en tennis de table, et sollicitée incessamment par l’UNSS pour renforcer les équipes, je ne m’y retrouve plus. Je m’inscris au kayak club de Rennes à 16 ans, tentée par l’aventure.

La vie de club, l’entraînement et surtout les sorties du week-end me plaisent. Les jours de compétition sont trop longs au vu des deux fois deux minutes de course. Malgré cela j’aime me confronter aux autres et aux éléments. J’y rencontre des personnes passionnées, inspirantes, à l’écoute, disponibles… J’y vois la possibilité de m’exprimer pleinement, de sortir de mon quotidien, des études. Ma formation sportive polyvalente, acquise par une pratique libre et le sport de compétition scolaire et fédéral, me permet d’apprendre vite.

Anne prête à tous les défis.

Mon club, orienté compétition, dénombre plusieurs sportifs en équipe de France. Ils éveillent en moi des désirs, des ambitions, des projets. Quelques compétitions rythment ma progression comme mon 1er championnat de France en cadette sur l’Ubaye 1981 (3e combiné), 1er championnat du monde Augsbourg 1985 à 20 ans (9e), 1er titre de championne de France Ubaye 1986…

L’annonce de l’entrée au programme des Jeux Olympiques du slalom est le déclencheur pour mettre le curseur prioritairement sur mon projet sportif. D’autant plus que l’équipe de France K1D est leader mondial. C’est dur de faire sa place mais y rentrer c’est jouer la gagne. J’ai le goût de la victoire avec ces deux coupes du monde de Bourg St Maurice 1990 et 1992. Je finalise mes études avec un DESS « Droit et économie aux métiers du sports » en 1989.

 

Les JO de Barcelone, 1992 – Comme à la maison

On voit le bassin sortir de terre, le site et la ville de La Seu d’Urgell se transformer. Une ambiance douce et joyeuse à l’Espagnole. C’est un stade qui m’oblige à faire évoluer, enrichir ma technique. Très étroit et ponctué de nombreux rouleaux, ma navigation en amplitude basée sur la conservation de la vitesse, est mise à mal. Mon approche analytique alimente ma motivation face à cette difficulté.

En 92, j’ai 27 ans. Je vais vite mais je suis irrégulière. Depuis quatre ans, je fonctionne avec mes partenaires Jacky Avril, Emmanuel Brugvin, Sylvain Curinier et Pierre Salamé notre entraîneur. J’ai quitté la Bretagne pour le pôle France de Besançon en recherche d’une continuité du suivi entraînement / compétition. Non retenue dans l’équipe préolympique lors de la saison 91-92, je m’installe à Quillan (Aude). Je descends deux fois par semaine naviguer avec les Espagnols et les étrangers en complément de quelques actions de la fédération et du pôle, et finalement j’intègre l’équipe olympique avec les deux autres sélectionnées : Myriam Jérusalmi-Fox et Marianne Agulhon.

Le village olympique « slalom » est au collège. Certes c’est un peu spartiate mais l’avantage est la proximité et la simplicité. Nous avons la « Maison France » pour trouver du calme, filtrer les sollicitations et rencontrer nos proches. La cérémonie d’ouverture reste un moment fort qui m’a fait basculer dans les JO : communion, joie… Seul Manou Brugvin et moi avons fait le choix d’y assister, laissant l’équipe terminer le stage terminal à St Pé de Bigorre.

Anne Boixel cérémonie d’ouverture JO Barcelone

Calée sur les horaires de course depuis plus d’un an (les sélections se sont déroulées aux horaires des JO), la préparation a été minutieuse. Nous nous étions entraînés notamment au bruit mais quand je m’aligne au départ vers 9h les tribunes sont quasi vide. Il faudra attendre la deuxième manche pour sentir un peu d’effervescence.

J’ai peu de souvenirs aujourd’hui de mes manches. Un esquimautage à la 1re, et 11e place à la deuxième, c’est décevant. Il me faudra du temps pour rebondir, pour profiter de l’ambiance incroyable de l’après-midi et du lendemain, pour vibrer avec nos médaillés.

La fin des JO se déroule au village olympique à Barcelone. La chance de pouvoir vivre les JO libérée pour encourager l’équipe olympique, faire des rencontres, visiter cette ville magnifique et digérer la contre-performance.

J’ai le sentiment de m’être donnée les moyens, d’avoir préparé les JO dans d’excellentes conditions avec un staff soudé, compétent et disponible. Je suis allée au bout d’une aventure et je dois réinventer la suite pour avancer.

 

Les JO d’Atlanta, 1996 – Entre Cherokee et Coca Cola

Forte de l’expérience et des excellents résultats des JO de 1992, la FFCK met en place dès l’automne 1992 un travail collectif de bilan (DTN et sportifs). La stratégie pour l’olympiade est posée avec des objectifs de résultats ambitieux. Mon sentiment d’appartenance à une équipe forte facilite la maturation d’un projet personnel.

J’oriente cette olympiade sur une navigation plus naturelle, tenant en compte d’avantage mes ressentis et mes émotions. Je m’entoure de René Bertrand,  spécialiste en eutonie, il est en relation étroite avec Pierre Salamé, et d’un préparateur physique pour gagner en réactivité et en changement de rythme. En parallèle, j’attaque un travail au niveau mental. Mon programme sportif a pour intention de côtoyer plus souvent les bassins de standards internationaux et des partenaires du top 10 mondial.

Côté professionnel, je trouve un équilibre avec une convention d’insertion professionnelle à la FFCK (secteur « Patrimoine nautique). Je retrouve rapidement le pôle France de Besançon où je continue le travail avec Pierre au quotidien. Jean-Michel Prono devient le coach catégoriel des K1D.

Ma navigation se solidifie et les résultats suivent avec deux médailles d’argent sur les championnats du monde de l’olympiade (93 et 95 : un tous les deux ans) et des podiums en coupe du monde. Le bassin des JO est quasi naturel, très large, très long (1re K1D : 169 points, près de 3 minutes) avec de la belle eau vive. L’Ocoee River est aussi un excellent terrain de jeu. Dans cette forêt des Indiens Cherokee, je me sens bien et je m’éclate sur l’eau. Les stages aux US se succèdent. Nous avons un coin à nous qui servira de « Club France » lors des JO, situé entre le bassin et le village olympique « CK ».

Le Club France canoë implanté au ‘’Welcome Valley Village’’

Les piges olympiques ont lieu à St Pé de Bigorre, 4 mois avant les Jeux. Nous avons obtenu deux quotas en K1D. Myriam Jérusalmi gagne, je finis deuxième. J’aborde les JO de 96 en confiance avec une 2e place au Test Event et une 3e au classement général de la coupe du monde 95.

La préparation terminale est organisée en deux temps et permet de s’acclimater au décalage horaire. Nous passons 8 jours à Jonquière, sur le bassin qui avait accueilli les mondiaux de 1969 auxquels la plupart de nos entraîneurs avait participé. Il y a beaucoup de similitudes avec Ocoee (environnement et bassin). Les coachs se surpassent pour que notre préparation soit performante et le séjour inoubliable.

Nous avons quatre séances pour reprendre contact avec le bassin olympique et identifier le maximum d’informations sur la logistique JO (navette, temps de trajet, contrôle, village athlète, l’organisation du site de course…). La cérémonie d’ouverture pompe de l’énergie mais représente symboliquement et émotionnellement l’ouverture des JO et l’immersion au sein de la délégation française.

Myriam Jérusalmi-Fox et Anne Boixel, cérémonie d’ouverture

Le 26 juillet, c’est la non-stop. Une belle prestation avec 10 secondes d’avance pour mettre en confiance et s’exprimer devant 15 000 spectateurs. Le lendemain 6h30, j’attends la première navette qui ne vient pas. De retour au réfectoire, j’apprends par Myriam l’attentat qui s’est déroulé dans la nuit. Finalement le programme ne change pas. Je suis dans ma bulle et égoïstement je pense surtout à réajuster mon protocole. Meilleurs temps de la 1re manche, je me classe 2e avec 10 de pénalités (5s / touche), je sais que je ne peux pas compter sur cette manche. Cette 2e manche est incroyable jusqu’à quatre portes de l’arrivée…

La plus rapide sur le bassin mais…

 

Ce que je retiens de ces deux expériences

La singularité des JO, c’est l’universalité qui transforme le nombre de médailles en enjeu politique, économique et médiatique. La mise à plat très large me semble indispensable pour dégager un bilan de l’olympiade et poser une stratégie pour la nouvelle : quotas, processus de sélection des meilleurs bateaux et prise en compte des évolutions réglementaires. La préparation, notamment quand on est sur un autre continent, permet de maîtriser son environnement et d’y être bien.

Nos « clubs France CK » et stages terminaux ont été des éléments de réussite. À Barcelone, le bureau du CNOSF, installé dans le village olympique, a été à la fois un lieu de vie et un havre de paix. La plaque tournante pour glaner les infos de la délégation, suivre le compteur des médailles, célébrer entre sportifs et staff, glaner quelques tickets mais surtout vibrer, échanger, écouter et se confier.

En 92, l’équipe de France est leader en C2H et K1D avec de jeunes bateaux qui montent en C1H. Et pourtant, les médailles françaises sont obtenues par d’autres. Aux JO tout est possible, différent car autant prévisible qu’imprévisible. Il faut savoir tout bétonner en amont pour donner le meilleur de soi-même à l’instant « T ».

J’ai aimé appartenir à une équipe forte : de ses résultats, de ses hommes et femmes mais surtout de sa capacité à apprendre de ses expériences. Entre Barcelone et Atlanta, le staff et la DTN sont montés en compétences avec un état d’esprit conquérant, communicatif.

Je pense qu’il faudrait féminiser les staffs en prévision des JO. Le ratio homme/femme y est très déséquilibré sur des périodes de préparation longues. Un sujet récurent…

 

Anne Boixel

Témoignage recueilli par Hervé Madoré

 

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