Les Jeux paralympiques de TOKYO 2020-21 vus par Nélia Barbosa
Je suis une jeune femme de 25 ans et je suis athlète en paracanoë. J’ai commencé le kayak en 2011 au club de Champigny dans la section slalom où je concourrais avec les athlètes valides de mon âge. À la suite de la complication de ma maladie, la neurofibromatose de type 1, je me suis faite amputer de la cheville droite en 2017, à l’âge de 19 ans.
J’ai commencé le sport relativement tard car j’ai trop longtemps pensé qu’un enfant en situation de handicap ne pouvait pas faire de sport comme tout le monde. À la place, je me suis épanouie dans la pratique du dessin et du violon. Tout cela me plaisait beaucoup mais je ne pouvais pas m’exprimer et me défouler autant que je le souhaitais.
Mes débuts sportifs
J’ai découvert le kayak en colonie de vacances en Corse. J’ai tellement adoré que j’y suis retourné plusieurs fois. Après cela, j’ai voulu continuer une activité nautique, c’était soit la voile, soit le kayak. Une amie m’avait déconseillé la voile car les moniteurs étaient « trop méchants ». Je suis donc partie sur le kayak, et je me suis inscrite au club de Champigny-sur-Marne près de chez moi. C’est un club pluridisciplinaire où on nous fait pratiquer : slalom, course en ligne et descente. Lors de ma première année j’ai pratiqué ces trois activités de manière ludique avec des jeux et de la découverte de l’environnement. Ce sont des dimensions importantes dans ce sport de pleine nature.
J’ai commencé le kayak assez tard par rapport à d’autres athlètes, j’avais déjà treize ans. Et de ce fait les autres filles de mon âge avaient un niveau plus avancé car elles avaient commencé plus tôt. Elles m’ont, sans qu’elles le sachent, poussé à me dépasser constamment pour espérer atteindre un jour, leur niveau.
Jusqu’à mon amputation, je ne concourrais qu’en slalom. J’ai commencé la compétition en régional puis nationale 3 puis 2 et je suis actuellement en national 1.
La décision de l’amputation, moment difficile mais salvateur
Ce pied droit que je traînais depuis longtemps était peu fonctionnel. Vers l’âge de 10 ans, l’équipe médicale qui me suivait me parle pour la première fois de l’hypothèse d’une amputation : « une idée à garder dans un coin de ma tête ».
Cependant, ça m’était inacceptable. Puis, vers 18 ans, j’ai dû me rendre à l’évidence, ma cheville me devenait trop douloureuse, n’était plus fonctionnelle et devenait un poids…C’est à la suite de la rencontre d’un chirurgien orthopédiste que l’amputation est apparue être la solution la plus raisonnable pour retrouver une vie normale.
Aussitôt, je me suis renseignée sur internet, je voulais voir ce que l’on pouvait devenir, en vivant avec une prothèse. J’ai découvert Marie-Amélie Le Fur, une championne paralympique d’exception très impliquée dans le handisport, qui m’a beaucoup inspirée par sa résilience incroyable. Cela m’a aidé à accepter cette annonce. J’ai décidé de me faire amputer au mois de novembre afin de passer les quelques mois de rééducation sur la période hivernale.
L’opération
Le jour J, je n’avais pas peur, j’étais juste triste, comme lorsque tu dis au revoir à un ami de longue date. Au réveil, j’étais soulagée. Il y avait de la douleur mais c’était secondaire pour moi. C’était une page qui se tournait. J’allais pouvoir me reconstruire. Arrivée au centre de rééducation, mon seul objectif était de reprendre le bateau le plus vite possible. Je n’avais pas pensé à la course en ligne car ce n’était pas la discipline que je pratiquais à l’époque. J’ai donc repris le slalom mais sans prothèse pour des raisons de praticité.
L’idée des Jeux paralympiques
À 18 ans, j’étais surtout concentrée sur mes études. J’ai fini par choisir une école proche du club de kayak afin de poursuivre mes études tout en continuant à m’entraîner. J’ai commencé par un BTS design de produits visant à la conception de service et/ou d’objets. Cela ne me convenait pas complètement, et je me suis réorienté en design graphique.
Bien avant mon amputation, un jeune du club m’avait parlé des Jeux paralympiques, mais je n’y avais jamais pensé moi-même car je ne m’y voyais pas. J’avais toujours eu de l’admiration pour le haut niveau mais cela me paraissait inaccessible. J’idéalisais tellement que je pensais ne jamais faire partie de ce monde-là.
C’est à l’occasion d’un stage d’eau-vive avec le club où j’encadrais les jeunes que j’ai rencontré Sylvain Curinier et Emilie Fer (médaillés olympiques en slalom). Sylvain m’a parlé du paracanoë qui existait à l’international et qui venait d’entrer au programme des Jeux paralympiques en 2016. Il m’a aussi donné le contact d’Eric Le Leuch coach de l’équipe de France qui organisait des séquences de détection des talents.
J’ai essayé puis j’ai tenté les sélections pour l’équipe de France. On pensait que je ne serais pas prête pour les Jeux de Tokyo, on visait plutôt Paris 2024. Finalement, quelques mois plus tard, je m’y suis qualifiée.
En 2021, année préparatoire aux Jeux de Tokyo, je ne suis pas allée beaucoup à l’école. J’y allais quand je n’étais pas en stage ou en compétition. En stage, je suivais les cours à distance. Quand je rentrais de stage il y avait la fatigue et le décalage horaire qui m’obligeaient à récupérer quelques jours. Il faut savoir que le rythme d’entraînement soutenu ne laissait pas beaucoup de place à l’école, seulement trois matinées par semaine en moyenne.
Dans un premier temps, je cherchais surtout à prendre de l’expérience, connaître les autres paracanoéistes notamment Cindy Moreau première médaillée française en paracanoë aux Jeux de Rio en 2016. C’était un bon repère. Lors de ma première compétition en paracanoë, j’étais très loin derrière elle (8 secondes) puis, en quelques mois, je me suis rapprochée.
Du matériel adapté
Au début de mon parcours, au club, nous n’avions pas de bateau type paralympique. Juste des bateaux pour débutants et des bateaux de vitesse plus instables. J’ai donc fait mes débuts dans un bateau club, avant d’adopter un bateau spécifique, plus performant. Plus je progressais, plus je prenais du plaisir à naviguer en eau plate. Bien sûr, j’avais toujours besoin de mes entraînements slalom. J’en faisais trois par semaine en plus de mes entraînements de course en ligne.
Assez vite, j’ai dû m’équiper d’une prothèse « acqua-compatible ». Côté calages et transmission, j’ai dû penser à faire travailler mes deux membres inférieurs de manière équilibrée malgré la prothèse.
Accès à la haute compétition
Lors de ma première sélection internationale, les championnats d’Europe, je me suis qualifiée pour la finale où j’ai terminé deuxième. Cela m’a énormément motivée pour ce début carrière de paralympienne.
Ensuite, en 2019, j’ai décroché d’autres sélections en équipe de France. Quelques mois plus tard, je concourrais ma première compétition à gros enjeux, les championnats du monde sélectifs pour les Jeux Paralympiques de Tokyo 2020.
Les conditions de préparation.
En paracanoë, nous n’étions que trois athlètes entourés d’un staff spécifique. On se sentait comme dans un cocon. On a pu profiter de stages dans des conditions idéales jusqu’à vingt jours par mois. La Guadeloupe c’était le plan parfait pour s’entraîner de décembre à février par rapport à nos hivers métropolitains froids et humides. Pas de problème de crues ou de météo. Cela ressemblait aux conditions prévues lors des Jeux de Tokyo : de l’eau salée, chaude et un climat tropical.
La préparation spécifique
Sur le plan technique, j’ai cherché quotidiennement à me rapprocher autant que possible de celle des « ligneux » valides. Mon geste de slalomeuse avec une main supérieure qui poussait beaucoup trop n’était pas adapté.
L’un de mes points faibles, était mon physique. En course sur 200m, mon start était assez bon mais ma courbe de vitesse redescendait trop vite. Je devais mieux résister et ne pas exploser en fin de course. J’ai souvent perdu des centièmes en relançant trop tard.
Mes séances préférées étaient les répétitions de course, cela permettait de voir où j’en étais à l’approche des compétitions et de valider le travail effectué précédemment. J’aimais aussi la musculation, j’ai rapidement senti l’apport de ces séances, lorsque que je montais en bateau. Quand j’ai commencé, j’étais à 52 kg maxi au développé-couché. En 2020, j’ai réussi à monter à 65 kg.
Le manque de partenaires d’entraînement
Depuis 2020, je suis la seule femme de ma catégorie en équipe de France. Pour compenser, je me suis beaucoup entraînée avec Rémy Boullé, kayakiste paraplégique qui préparait ses seconds Jeux. Cela me motivait et m’évitait la monotonie, la routine. Sur les séances de 200m, j’aimais fort logiquement qu’il y ait de la confrontation.
En Équipe de France paracanoë, les stages ne se font qu’entre nous et, de temps en temps, en collaboration avec les valides. La culture des stages internationaux (regroupements entre athlètes de différents pays) n’est pas encore développée en paracanoë. Ma seule expérience jusqu’en 2023, fut un stage automnal de reprise à Vaires-sur-Marne avec les Hongrois. Des concurrentes m’ont déjà contactée pour effectuer des regroupements et j’ai pu réaliser un stage avec le collectif britannique en 2024. C’est novateur dans le monde du paracanoë, tout le monde peut y gagner.
Les à-côtés
Il est important d’avoir une vie en dehors du kayak pour s’échapper du quotidien dur et répétitif. Je profite donc de mes « temps off » pour dessiner ou faire de la musique.
Des précieux soutiens
Aujourd’hui, je me considère comme une véritable athlète. Et, quand je vois tous les moyens mis en œuvre pour m’aider à progresser, je me sens privilégiée… Tout le staff fédéral, mon entourage, les partenaires qui me soutiennent. Je leur suis très reconnaissante. Mon regard a changé car j’ai rejoint les sportifs que j’admirais le plus avant mon amputation. On forme une « Grande Famille » solidaire riche de belles histoires inspirantes.
J’attends aussi beaucoup du dispositif ministériel multi-partenarial bien-nommé « La relève » qui vise à promouvoir l’inclusion professionnelle de personnes en situation de handicap.
Depuis les Jeux de Londres en 2012, la vision du handicap à nettement progressé. La population s’intéresse plus aux histoires porteuses de sens et de valeurs humaines. Les entreprises qui accompagnent les athlètes dans leur préparation ont la volonté de raconter une histoire sportive, mais aussi humaine. De plus en plus, les athlètes paralympiques peuvent trouver un accompagnement humain et financier au même titre qu’un athlète olympique.
Les Jeux paralympiques de Tokyo 2020-2021
Le confinement dû au Covid n’a pas facilité l’analyse de la concurrence et la définition de mon objectif avant Tokyo. De toute façon, gagner ne va pas être évident. Ma seule certitude était que je devais tout faire pour être au meilleur niveau le jour de la finale avec l’idée quand même de faire une médaille.
Mon adversaire anglaise avait beaucoup progressé ; elle se situait loin devant. Paradoxalement, je me suis dit qu’elle n’était pas inaccessible. Il y avait l’ouzbek que je n’avais pas vue depuis deux ans et qui était championne du monde en titre ; je ne savais pas comment la positionner. L’iranienne aussi était devant moi auparavant… Bref, avec le confinement et l’annulation des compétitions, je ne savais pas comment elles avaient pu se préparer. Heureusement, je savais pouvoir disposer d’une bonne marge de progression, et si ce n’était pas possible cette année, il y aurait toujours les championnats du monde et d’Europe à suivre.
Je courais en catégorie KL3 dame. C’est la catégorie regroupant les femmes ayant les handicaps sur une ou deux articulations des membres inférieurs.
Jeudi 2 septembre : c’est par une météo fraîche et humide, un léger vent de trois quart arrière droit, dans une eau chaude et salée que j’ai couru en ligne 5, avec mon dossard 30, dans la seconde série qualificative de ma catégorie. Cette série s’est avérée la plus incertaine jusqu’à l’arrivée. Ma principale rivale l’anglaise Laura Sugar courait avant moi dans la première série. Nous devions gagner notre série pour accéder directement en finale A. Ce que nous avons réussi, elle avec un super chrono de 50″347 et moi avec un chrono un peu plus modeste de 52″234. Ce furent les 2 meilleurs chronos des séries. Bon signe et confiance pour la suite.
Deux jours plus tard, cap sur la finale décisive. Même conditions météo qu’en série avec un vent de trois quart arrière un peu plus soutenu laissant augurer de meilleurs chronos. Cette fois j’étais en ligne 4 bien placée au centre du bassin et juste à côté de Laura Sugar en ligne 5. Troisième meilleure qualifiée, l’allemande Felicia Laberer était en ligne 6. En course, mis à part Laura partie très vite puis détachée, les autres finalistes bataillèrent au coude à coude jusqu’à l’arrivée. Je ne m’impose que de 3 dixièmes sur Felicia troisième qui avait gagné sa place en finale le matin même. Quatre dixièmes seulement séparent les quatre suivantes. Belle finale réussie pour ma première ! Je n’ai eu aucun regret bien au contraire car Laura était bien meilleure. J’avais tout donné et fait du mieux possible.
Au vu des conditions sanitaires encore très strictes, nous n’avions aucun supporter dans les tribunes. Il m’a fallu du temps pour prendre conscience de ce que je venais de réaliser. Ce n’est qu’en rentrant en France que j’ai vu la ferveur et l’engouement des Français autour des Jeux.
J’aimerais donner un conseil aux personnes en situation de handicap. Mettez-vous au kayak ! C’est un sport de compétition mais surtout, un sport de passionnés. On peut le pratiquer juste en loisir et prendre autant de plaisir qu’en compétition. La pratique en eau-vive est très ludique, on peut vraiment s’éclater. Le kayak, permet de rencontrer de belles personnes et de découvrir de beaux endroits.
J’en profite pour relayer ce message vibrant d’espoir d’une quadri-amputée, l’énergique escrimeuse italienne Bebe Vio médaillée d’or pour la seconde fois à Tokyo : « Il faut croire en soi. Croyez-y, persévérez et vous pourrez faire de grandes choses. »
Nélia Barbosa, avril 2024
Témoignage recueilli par Jean-Paul Cézard
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