Les Jeux Paralympiques de Tokyo 2020-21 vus par Rémy Boullé
Ancien commando parachutiste, Rémy Boullé a participé aux opérations de l’armée française en Afghanistan, au Mali ou encore au Tchad. À l’âge de 26 ans, le 4 septembre 2014, Rémy devient paraplégique à la suite d’un accident de parachutisme au cours d’un entrainement militaire. Sportif dans l’âme (il était membre de l’équipe de France espoir de parachutisme), Rémy sent que pour accélérer sa reconstruction, il doit s’investir dans le sport. Rémy se tourne alors vers une passion de jeunesse, le kayak, et se met au défi de participer aux Jeux Paralympiques de Rio. Il réussit cet exploit et se classe 5ème de la finale du 200 m. Il s’est donné pour principe que le handicap n’est pas « la fin mais le commencement d’une nouvelle vie à reconstruire ». Ceci tout en restant très attaché à ses frères d’armes : le monde des commandos.
Le choix du matériel
Côté pagaie, j’ai commencé avec une Braca, c’était une pagaie assez petite puis je suis passé sur une Jantex. Je suis mieux en fin de course pour la sortir de l’eau mais la Braca était mieux pour le démarrage. Pour les Jeux de Tokyo, le choix fut compliqué. J’ai réfléchi à monter en grosseur sur une 760 au lieu d’une 740. Les trois premiers appuis sont durs et tu pars moins en puissance qu’un valide. Au start, par rapport aux valides, je rentre la pagaie dans l’eau lors du « ready-set », pas avant sinon je ne tiens pas en équilibre.
Le travail de mes points faibles.
J’ai beaucoup travaillé les départs. Avant j’étais assez fort jusqu’au 120 m puis j’explosais. Maintenant, c’est plutôt 150 m avant de m’écrouler, car mes départs sont moins explosifs. Mais j’ai dû retrouver mon explosivité d’avant. Car avec un mauvais départ, tu n’arrives pas à ta vitesse maximale. Les trois premiers coups de pagaie sont très importants, si je les rate c’est fichu.
Mon entrainement.
Je me suis entrainé tous les jours, deux fois par jour. Pendant trois ans, on a été sur une grosse dynamique. En stage, on fait deux séances les lundi et mardi et une le mercredi, puis deux séances les jeudi et vendredi, et une le samedi. Le dimanche, c’est en fonction de l’état de forme, soit on refait deux séances soit une seule soit c’est repos complet. Au total, onze séances par semaine. Comparé à Maxime Beaumont avec qui je discute beaucoup, Il était à 23 h de bateau par semaine. Moi j’étais à 17 h mais tout avec les bras.
Je fais du cardio-training notamment pour améliorer ma puissance. Ça peut être du SkiErg (ergomètre de ski à élastiques), des circuits training, de la musculation traditionnelle. J’ai aussi fait du handbike (vélo à bras). Et pas mal de machine à pagayer. Ça m’a permis de passer un cap. Avant le confinement, j’ai modifié ma machine. J’ai adapté l’appareil pour obtenir la même assise que dans mon bateau. Mais faire beaucoup de machine à pagayer puis revenir dans un bateau n’est vraiment pas simple. Ça a aussi été compliqué pour moi de m’entraîner sur l’eau car, à Orléans, l’accessibilité au bassin a été perturbée par des travaux, j’ai donc été obligé de faire beaucoup de machine à pagayer pour compenser. Bien sûr, la pagaie est plus lourde que celle du bateau, je comprends que des valides qui ont la possibilité de monter en bateau plus facilement que moi, aiment moins faire de la machine. Pour monter en bateau, j’ai besoin d’une personne pour m’aider : porter le bateau, descendre du fauteuil… La machine m’a fait passer un cap.
Rio 2016, Tokyo 2021, les différences
Tout était différent par rapport à Rio en 2016 (cf. mon témoignage sur Rio). Avec le confinement dû à la pandémie de Covid, mes parents et amis n’ont pas pu venir. De toute façon, je leur avais dit que je ne souhaitais pas qu’ils viennent pour rester focus sur mon objectif. J’en ai parlé beaucoup avec Nélia Barbosa également en équipe pour ses premiers Jeux. Pour moi, c’était un rêve de faire les Jeux Paralympiques, une renaissance, une reconstruction vitale. Dans le sport que j’aime. Quand je suis en bateau, les gens ne voient pas mon handicap et ça c’est cool.
Rester focus.
Après l’aventure de Rio (5ème sans expérience), pour Tokyo, je me devais d’aller chercher un podium. A Tokyo, je savais qu’il y avait un coup à jouer. Heureusement, j’ai réussi à décrocher le bronze.
En dehors des Jeux, on a la chance de pouvoir courir avec les valides avec qui on échange. Ce n’est pas le cas dans toutes les fédérations. On est sur les mêmes compétitions. On n’est pas « exclus » comme dans la plupart des autres sports. Il n’y a que les Jeux que tu ne fais pas avec les valides, mais c’est normal, cela couterait trop cher et surtout compliquerait beaucoup l’organisation.
Je pense que la chose qui nous aiderait le plus c’est que ce soit mieux médiatisé comme en Angleterre où tu es reconnu comme un véritable athlète. Je dois dire que l’Agence Nationale du Sport (ANS) et la Fédération (FFCK) nous aident. Je ne connais pas d’autre fédération qui suit autant ses athlètes. On forme une petite équipe avec un entraîneur, un kiné, qui nous suivent en stage. Il y a bien sûr des aides financières. Toutes ces aides sont de plus en plus conséquentes.
Et beaucoup d’autres éléments
J’ai amélioré mon alimentation pour perdre un peu de poids. Côté préparation mentale, une psychologue de l’INSEP m’a bien assisté avant les Jeux. Pour cela, la FFCK s’est vraiment professionnalisée et s’est donnée les moyens avec l’aide de ses partenaires. Dans l’équipe, il n’y avait que des athlètes capables d’aller chercher des médailles. Des barèmes de sélection stricts avait été définis l’année précédente.
La FFCK a mis à disposition des camions adaptés à notre pratique et notre handicap. Ce qui nous a facilité la vie au quotidien. En dehors des moyens financiers, il y a eu des stages. Eric Le Leuch, notre entraîneur national, est un ancien champion. N’ayant pas d’entraîneur de club, c’est Eric qui s’occupait de moi. Quand il n’était pas là, je m’entraînais tout seul.
Je cherchais une médaille qui a de la valeur
On faisait jusque 20 jours de stage par mois. On est allé jusqu’en Guadeloupe pour se préparer au chaud. Pour ma préparation, je visais des courses où il y avait de l’adversité. Je n’étais pas là pour me mentir à moi-même. Pour la préparation terminale, j’ai préféré programmer un stage avec Eric et Guillaume Graux notre kiné très engagé à nos côtés plutôt qu’une course sans adversité comme les championnats d’Europe. Le but de ce stage était de me préparer sur une vingtaine de séances très spécifiques pour aller chercher une médaille à Tokyo.
L’importance de mon entourage : affectivité et don de soi
J’avoue que j’ai une femme exceptionnelle rencontrée à l’hôpital. On avait prévu de faire notre enfant après les Jeux. C’est ce qu’on a fait. Et puis, il y a eu l’imprévu confinement. Dans cette période, ma vie de famille a été un peu compliquée. Je n’ai pas vu ma fille grandir. Pour mon projet, ma compagne a fait beaucoup de concessions en arrêtant son travail pour pratiquer en libéral à temps partiel et s’occuper de notre fille. On savait qu’après les Jeux, cela irait mieux.
Il y a aussi « L’Armée des champions » (Bataillon de Joinville) qui m’aide. Quelques sponsors qui n’ont pas attendu que j’arrive en équipe de France pour me soutenir. Je pense aussi à Guillaume notre jeune kiné, présent à tous les stages, il a mis sa vie perso entre parenthèses jusqu’aux Jeux. Par respect pour eux, je me devais d’aller chercher la médaille.
J’ai eu la chance de rencontrer des personnes assez exceptionnelles. Mon histoire avec les sponsors est très riche. J’ai bien été aidé par les services de la Mairie d’Orléans (sports et événementiel). Une amie a même créé une association qui porte mon nom dont le but est d’aider des militaires blessés à se relancer par le sport. Cela m’a aidé à rencontrer différents sponsors. Maxime Beaumont (vice-champion olympique 2016 chez les valides) m’a également beaucoup aidé. Je dispose aussi d’une pension de l’armée. Dans tout ça, pour moi, ce sont les relations humaines qui priment sur le côté financier. Et il n’y a pas que la famille, les amis, l’encadrement ou les sponsors, il y a aussi beaucoup de gens qui manifestent leur soutien, c’est énorme. Sans tout ça, je n’aurais pas envie d’aller jusqu’à Paris 2024.
Je suis conscient que mon histoire tragique y fait pour beaucoup. Malgré mon handicap, je n’ai ni le droit de me plaindre ni de me trouver d’excuses. Je sais ce que je dois aux autres. J’ai une dette envers eux que j’aimerais rembourser… Confidence pour confidence, je sais que je ne suis pas toujours facile à vivre et que je peux rapidement m’énerver. Mon entraîneur en subit parfois les conséquences… C’est mon tempérament, je m’en excuse et essaie de m’améliorer. En fait, je n’ai pas encore accepté ma vie d’handicapé !
Mais j’ai atteint mon objectif sportif avec la médaille de bronze en KL1 200 m à Tokyo.
KL1 200 m -ans
Pour finir, un message d’espoir pour les cabossés de la vie.
Un de mes collègues a lui aussi perdu l’usage de ses jambes. C’est évident, il n’allait pas bien mentalement. J’ai tout essayé : lui faire prendre conscience qu’il y a un avenir tant qu’on est en vie et le faire réagir pour qu’il rebondisse. Je pense que ça l’a aidé. Il a réussi à entrer en équipe de France de volley assis. Tout ce que je lui souhaite maintenant, c’est d’être aux Jeux de Paris 2024. De mon côté, je n’avais pas le choix, si je ne rebondissais pas je me tirais une balle car tous mes rêves de jeunesse s’étaient brutalement évaporés…
Rémy Boullé, février 2024
Pseudo commando para : BOBBY
Témoignage recueilli par Jean-Paul Cézard
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