Les Jeux paralympiques 2020 vu par Eddie Potdevin
Eddie Potdevin est né le 24 Juin 1980 à Hirson (Aisne). Il est membre du club de canoë-kayak de Charleville-Mézières. Il pratique la pirogue polynésienne ou Va’a discipline encore confidentielle en France métropolitaine mais très populaire dans l’hémisphère sud. Eddie préfère parler de pirogue plutôt que de paracanoë. Dans la tradition polynésienne, ceux qui les utilisent sont des « aïtos », les guerriers du Pacifique. Une signification qui colle bien à l’esprit d’Eddie, guerrier venu du moto cross. Après son accident, Il essaye l’aviron puis le kayak mais c’est la pratique de la pirogue qui lui a plu et lui a permis de se reconstruire.
Le moto-cross, un parcours fatal
Mon père était passionné de moto-cross, quand je suis reparti dans les Ardennes, vers douze-treize ans, j’ai sauté sur ma moto puis j’ai enchaîné les courses jusqu’au niveau national. Vers dix-sept ans, mon père est décédé dans un grave accident de moto-cross. Son décès a mis fin à ma passion, bannie de la maison.
Vers vingt ans, j’ai repris la moto mais financièrement ce n’était pas tenable alors j’ai tenté ma chance aux USA. Vers vingt-quatre ans j’ai ouvert un magasin de moto puis je suis parti faire de l’import-export en Asie. J’ai réussi à concilier passion et travail. Mon associé a eu un grave accident de moto tout proche de l’amputation, on a vendu le magasin. A trente-et-un ans, je me suis lancé dans l’immobilier. Je m’entraînais quotidiennement car j’avais pour projet de faire l’enduro du Touquet.
Le 2 novembre 2014, j’ai eu mon accident de moto, un vol plané à 100 km/h dans le sable. J’ai dû être amputé de la jambe gauche. Six mois plus tard, pour m’aider, on m’a proposé la direction départementale des agences immobilières du groupe.
Le défi en pirogue
À cette époque, avec un ami, on s’est lancé le défi d’être champion de France en pirogue. J’en ai acheté une… C’est après l’accident, au centre de rééducation qu’on m’avait conseillé de faire du handikayak. Pourtant, l’eau n’était pas mon élément. Mais c’est mon tempérament, je suis un passionné sans doute est-ce dû à mon passé compliqué. Après trois années d’immobilier, mon projet pirogue n’avançait pas. Je n’avais plus assez de disponibilité et mon hygiène de vie laissait à désirer. J’ai dû perdre 35 Kg pour y arriver. Je trouvais qu’en canoë, il y avait une similitude avec le moto-cross au niveau du travail du haut du corps.
La pirogue entre au programme paralympique
L’apparition de la pirogue aux Jeux Paralympiques ouvre des perspectives très motivantes. En 2017, j’effectue un stage de détection dirigé par Mathieu Goubel. Je m’étais fait livrer mes 2 pirogues sur place. Je pesais 110 Kg et je ne rentrais pas dans mes bateaux. J’ai rapidement perdu du poids pour pouvoir utiliser mes pirogues. J’ai enchaîné les courses, jusqu’aux sélections. J’ai couru contre Ronan Bernard de Pleyben. En France, il était le plus rapide et je m’en suis beaucoup inspiré. Il m’a battu puis je l’ai battu et il m’a rebattu. Eric Le Leuch, le sélectionneur, a décidé de me tester à la coupe du Monde de Szeged. J’étais déjà à fond dans l’entraînement, même le lendemain de la naissance de mon deuxième fils, j’ai été m’entraîner.
À force de travail acharné, j’ai pu atteindre le niveau international en catégorie VL3 sur 200m avec notamment, entre 2018 et 2021, une quatrième place aux championnats du Monde, une troisième place aux championnats d’Europe et plusieurs places de finaliste international.
En 2019, je me suis surentraîné car je voulais gagner, ce qui m’a amené à rater le quota de qualification paralympique. Aux Mondiaux, je ne termine que 8e et six seulement étaient retenus pour les JP. J’ai eu la chance de rencontrer Olivier Boivin médaillé de bronze aux JO de Barcelone en C2. On a décidé de travailler ensemble sous la supervision d’Éric Le Leuch. J’ai aussi progressé parce que j’ai su m’entourer de personnes-ressources comme dans un team de moto. Je dispose de mon camion et de ma remorque.
En 2020, le Covid s’invite dans le projet. Coup dur, tu es déboussolé. Des Jeux annulés puis reportés. Je finis quand même la saison, championnats de France et coupe du monde à Szeged où la participation est réduite et les résultats faussés. On apprendra finalement que les épreuves de qualification auront lieu en mai 2021. Il a fallu se remobiliser pour finalement obtenir un quota pour Tokyo. Avec Olivier, on a fait du sur-mesure pour se préparer.
Les courses paralympiques
À Tokyo, en septembre, il faisait une chaleur de folie. Autour de 40°C voire plus avec 95% d’humidité. Heureusement, pour les courses, on s’est retrouvés à 20°C. L’eau en revanche était restée très chaude donc plus fluide. J’ai eu un vent de face pendant ma série que j’ai gagné me qualifiant directement en finale. En finale, un vent puissant venait de la gauche s’est invité. J’ai dû m’adapter mais les gauchers ont été favorisés. J’ai eu du mal à finir mon sprint. J’aurais pu mieux faire qu’une 6e place. Cela dit, je ne regrette pas ma course ni mon niveau technique et physique. Je n’ai pas à rougir de mon parcours.
Le matériel
J’ai commencé avec des pagaies de pirogue avec une pale en forme de goutte d’eau. Sur les conseils d’Olivier j’ai essayé des pagaies classiques de canoë Braca en carbone avec lesquelles j’ai couru aux Jeux. J’ai des pirogues Nelo de 5,42 m plus courtes et plus réactives que d’autres.
Mon stabilisateur est à droite par choix mais tu peux le changer de côté. Ce choix peut aussi dépendre de l’orientation du vent. La tradition tahitienne veut que le flotteur soit côté cœur (à gauche). Bref, à Tokyo, en finale, le vent venait de la gauche, je n’avais pas assez anticipé et cela m’a gêné.
Je navigue toute l’année peu importe le temps même par temps de brouillard. Pour ma musculation, je dispose chez moi d’une planche à traction, d’un ergomètre VAA et d’un rameur concept 2. L’ergomètre m’a beaucoup apporté.
L’après-Tokyo
Au retour des Jeux, des partenaires souhaitaient soutenir mon projet en vue de Paris 2024. J’avais tellement l’habitude de me débrouiller tout seul que je n’osais pas demander. Malgré cela, la « Team Grand Est » composée de 20 « ambassadeurs », émanation de la Région, m’a soutenu. Le conseil départemental aussi. Et quelques sponsors privés, des amis ou des connaissances avec qui j’ai travaillé. Mais j’ai cette envie de transmettre. Je sentais que j’étais à un tournant de ma vie. J’ai une famille, une femme et des enfants formidables… J’ai donc décidé de ne pas préparer les JP de Paris 2024
Eddie Potdevin, mai 2024
Témoignage recueilli par Jean-Paul Cézard
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