Les Jeux de Séoul 1988 vus par Philippe Renaud médaillé olympique

Portrait Eric Renaud — Coll P. Renaud

Philippe Renaud est né en 1962. Il donne ses premiers coups de pagaie dans un canoë sur la Reine (minuscule rivière du Loir et Cher) vers l’âge de six ans en compagnie de son frère Éric, médaillé en canoë biplace (C2) aux JO de 1984. Ses parents Micheline et Marcel Renaud étaient également internationaux en course en ligne. Son père a obtenu une médaille de bronze aux JO de 1952. Philippe entre en équipe de France en 1979 et arrête le haut niveau en 1993. Il commence sa carrière olympique en canoë monoplace (C1). Aux JO de Los Angeles en 1984, il termine 4e en C1 500 mètres à 9 centièmes du podium. En 1988 à Séoul il obtient une médaille de bronze en C2 500 mètres avec son équipier Joël Bettin. Il participe à dix championnats du monde et accède à dix finales ; il gagne deux médailles (bronze) en C2 et C4 sur 500 m en 1989 puis également en C4 en 1991 (argent) aux mondiaux de Vaires sur Marne. 

 

Voici quelques souvenirs de mes deuxièmes Jeux olympiques à Séoul.

 

 

Le contexte de la préparation aux JO de Séoul

Après les Jeux de Los Angeles en 1984 où je termine 4e en C1 500 mètres, à 19 centièmes de Costica Olaru le Roumain champion du monde en titre, je me prépare pour mes deuxièmes JO à Séoul. Je participe uniquement en C2 avec mon coéquipier Joël Bettin, pour qui ce ont sont les premiers Jeux olympiques.

Je savais exactement ce qui nous attendait. En effet, l’approche était complètement différente, la qualité et le volume d’entraînement avaient considérablement évolué. Notre préparation était très professionnelle et la course était prête.  Elle avait été répétée des dizaines de fois sur l’eau et dans nos têtes depuis les derniers championnats du monde de Duisbourg en 1987. Celui-ci avait eu lieu six mois après les premiers essais de navigation avec Joël. Nous avons terminé 5e à 39 centièmes du podium malgré un départ très moyen. À partir de cette première vraie performance lors d’une course mondiale, nous avons décortiqué toute notre pratique, mais aussi celle de nos adversaires et de nos amis étrangers qui performaient. Par exemple, nous avions beaucoup moins de puissance physique que les Allemands de l’Est, les Hongrois et les pays de l’Est en général. Il fallait progresser sur tous les points, physiologiquement, musculairement, psychologiquement, techniquement… Aucun maillon de la chaine de performance ne devait être défaillant. Il nous a fallu trouver la meilleure alchimie possible pour que la performance soit présente chaque fois que nous nous alignions en course.

Cette médaille olympique à Séoul était espérée mais un peu inattendue. Elle a été le fruit de réflexions, de recherches, de nombreux entraînements, de partages et d’une vraie complicité avec Joël. Elle a été réalisée grâce à la dynamique du fabuleux groupe des canoës (1) et d’Alain Lebas son entraîneur.

Le groupe des canoës avant la cérémonie d’ouverture : Pascal Sylvoz, Didier Hoyer, Alain Lebas, Joël Bettin Philippe Renaud. — Coll E. Renaud

Pendant les 18 mois de préparation qui ont suivi la création de notre C2 Renaud-Bettin, nous avons couru le monde avec une belle énergie, le plaisir de naviguer et de s’entraîner d’un camp d’entraînement à l’autre : le Temple sur Lot, la Bulgarie, la Hongrie, la Floride, les Antilles, Decize, les Saisies et Prémanon (pour le ski de fond) … Moscou, Brandenburg, Szeged, Sofia, Duisbourg, Nyköping et Copenhague pour les compétitions pour ensuite retrouver l’INSEP notre base principale.

 

La préparation des Jeux en Corée

Pour optimiser la préparation de l’équipe de France et aborder les courses dans les meilleures conditions possibles nous sommes arrivés en Corée quatre semaines avant le début des courses. Cela nous a permis d’éviter la cohue et la pression du village olympique. Nous avons ainsi réussi à nous accoutumer au décalage horaire, au climat, un peu à la nourriture (même si nous avons principalement mangé à l’européenne), à l’environnement et aux Coréens. L’équipe avait installé son camp de base à Chuncheon à 100 km de Séoul où nous nous entrainions sur un magnifique lac bordé de montagnes arrondies couvertes de verdure. Chaque matin, avec l’absence de vent, ce lac ressemblait à un magnifique miroir d’eau ! La Corée du sud mérite vraiment de s’appeler «le pays des matins calmes». Un matin assez tôt, nous naviguions seuls avec Joël dans un épais brouillard depuis déjà un bon moment, quand nous sommes tombés nez à nez avec un vieux pêcheur. Il était debout sur un radeau de bambou et une perche pour pagayer, des paniers d’osiers remplis de poissons et deux cormorans qui pêchaient pour lui. Une rencontre de deux mondes sur des axes du temps éloignés, lui naviguant sur des bambous avec une grande perche pour se mouvoir, nous sur un bateau en bois moulé avec de placage acajou et une pagaie en carbone.

Nous partagions notre temps entre les entraînements, la visite du marché que nous traversions en rentrant ou en partant au centre nautique, la lecture, et notre immersion dans la préparation finale. Nous jouions aussi à la pétanque sur la placette devant l’hôtel entre nous puis avec des coréens qui découvraient ce jeu avec un réel plaisir. Pour la petite histoire, l’hôtel qui nous accueillait avait remplacé les nattes sur lesquels ses clients dormaient habituellement, par des lits avec des matelas spécialement achetés pour nous recevoir.

Nous répétitions nos gammes pour «LA COURSE» c’était notre seul objectif. Celui-ci incluait le travail à vitesse de course, les derniers réglages techniques lors des séances aérobie et la bagarre absolument nécessaire lors des séances de départ ou sur des distances courtes avec le K2 et le K4 féminin, les kayaks homme. Nous étions prêts, notre tactique de course était formatée dans notre tête (départ très rapide, on repart à 100 mètres, puis au 250 mètres et on arrache tout jusqu’à la ligne). Quand nous réalisions un chrono, nous étions capables de donner le temps effectué en passant la ligne. Il en était de même pour le nombre de coups de pagaie qui était toujours le même à 2 ou 3 coups près (120- 122).

 

Le déroulement de nos courses olympiques

L’arrivée à Séoul s’est faite deux jours avant les premières courses pour découvrir le bassin, faire certifier nos bateaux et nous installer au village olympique. Nous étions vraiment sereins et certains de ce que nous étions capable de réaliser. L’inconnu pour nous restait ce que les autres concurrents seraient capables de produire.

Les séries se passent sans difficulté et nous terminons 2e juste derrière les Polonais Lbic-Dopierala, champions du monde en titre. Nous réalisons le 5e meilleur chrono des séries.

La demi-finale nous confronte pour la première fois aux Hongrois Sarusi-Kis et Vaskuti qui avaient été champions olympiques à Moscou en 1980, champions du monde sur la distance en 1985 à Mechelen puis en 1986 à Montréal. Ils n’avaient pas couru ensemble en 1987. Nous étions l’un et l’autre aux couloirs 1 et 2 et la course s’est faite au bord à bord. Ils gagnent la course avec 8 centièmes d’avance sur nous. Nous réalisons le 3e temps des demi-finales.

La sérénité et l’assurance sont toujours bien présents, mais la veille de notre finale un événement inconcevable bouleverse l’équipe de France. Les Français Boccara-Boucherit grandissimes favoris pour le titre olympique du kayak biplace K2 1 000 m n’arrivent pas dans les temps pour prendre le départ de leur course, ils sont disqualifiés ! «BOC» qui concourait pour le K1 1 000 m est disqualifié d’office. Il espérait également monter sur le podium. L’horizon se remplit d’un coup de gros nuages noirs, les journalistes sautent sur l’événement et l’ambiance s’alourdit. Toute la délégation des pagayeurs perd le sourire et son entrain.

Nous rentrons silencieux au village olympique sans que personne ne s’adresse la parole dans le bus. Malgré cela nous rentrons avec Joël dans notre bulle. Joël m’avouera bien des années plus tard que cette nuit-là, le sommeil a été très, très long à arriver. Pour ma part j’ai passé une belle nuit mais en me réveillant, j’ai été pris d’une peur inattendue qui m’a empêchée de me mettre sur mes jambes et de sortir du lit. Je me suis dit : « si jamais Joël me voit comme ça, c’en est terminé des Jeux» ! J’ai réussi à me détendre par une technique de respiration et à reprendre le contrôle sur moi.

A partir de là, plus rien ne pouvait nous arriver si près du but. La finale était là, elle nous attendait ! Nous sommes placés en ligne 1, à l’opposé des Soviétiques en ligne 9 et du groupe des favoris. Ce n’était pas bien grave car nous pouvions être tranquilles pour reproduire ce que nous avions préparé. Après un faux départ provoqué par le C2 bulgare, « LA COURSE » commence. La tactique de course prévue est libérée : départ très rapide, nous sortons des starts dans les premiers. On repart au 100 m, nous passons 4e au 250 m. Nous relançons à nouveau et on s’arrache jusqu’à la ligne. Ce qui nous vaut le 2e meilleur chrono sur le dernier 250 m et cette belle médaille de bronze qui nous propulse sur le podium.

Philippe Renaud et Joël Bettin après leur course. — Coll. E. Renaud
Philippe Renaud et Joël Bettin sur le podium. — Coll. E. Renaud

L’encadrement, le président fédéral, Alain et toute l’équipe respirent à nouveau et tous les visages s’ouvrent. Même si nous ne réalisons pas encore ce que nous venons d’accomplir, nous avons reproduit exactement ce que nous étions capable de faire. Et la médaille est là ! Nous l’avons gagnée ! Le balai des interviews, des félicitations, des photos et des réceptions commence. Une nouvelle ère s’ouvre à nous.

Philippe Renaud et Joël Bettin médaillés. — Coll. E. Renaud

 

Philippe Renaud (Mars 2024)

Témoignage recueilli par Jean Paul Cézard et Sylvaine Deltour

 

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